LA PHILOSOPHIE EN GAULE

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La Gaule était le fief principal des druides, qui étaient les premiers à élaborer une philosophie originelle en Gaule. L’Empire romain a hérité à tous les savoirs et les spéculations des Grecs, et a su y ajouter des aspects qui leur étaient originels. La Gaule romaine a donc hérité aux deux patrimoines.

Cratère de Vix
La philosophie aurait été, comme le beau cratère de Vix, un cadeau grec aux peuples de la Gaule.
(Musée du Pays Châtillonnais ; photographie de Peter Northover, CC BY-SA 2.5)

Histoire et orientations

La philosophie en Gaule se serait propagée vers l’intérieur à partir de la colonie phocéenne de Marseille (Μασσαλία en grec, Massalia en latin). Les sciences grecques sur le monde naturel (l’astronomie, la géométrie, la physique...) aurait fourni aux érudits gaulois des matières de base pour de nouvelles théories et conceptions de l’univers.Jean-Louis Brunaux (2006), Les Druides : des philosophes chez les barbares. Éditions du Seuil. Les conclusions de ces érudits — on les appelait druides — se ressemblaient sur plusieurs points à la philosophie de Pythagore. Les deux écoles se mettait notamment d’accord sur l’immortalité de l’âme et la métempsychose.L. Cornelivs Alexander Polyhistor, cité chez Cyrile d’Alexandrie, Contra Iulianum iv. Il n’est probablement pas par coïncidence que les druides propageaient la doctrine que les Celtes de ce monde descendaient de Dis Pater, dieu de l’au-delà. Outre la doctrine que l’âme ne meurt pas, les druides privilégiaient l’étude de l’astronomie, de la géographie, des sciences naturelles et de la religion.C. Ivlivs Caesar (résumant Posidonius), De Bello Gallico vi : 13, vi : 18. Ils pratiquaient aussi l’augure.M. Tvllivs Cicero, De Diuinatione i : 90.

Décade pythagoricienne
La décade : représentation pythagoricienne du numéro dix ; symbole de la perfection de l’univers et de la divinité.

Il peut être que le rôle des druides étaient déjà fort diminué avant la conquête romaine, après laquelle le druidisme disparaît totalement en tant qu’école philosophique. D’autres écoles, dérivant plus directement des sources grecques, ont pris sa place ; ce sont pour l’essentiel les écoles platonicienne (basée sur les œuvres de Platon qui seraient réinterprétées plus tard par Plotin et Jamblique), péripatétique (basée sur Aristote), stoïcienne (basée sur Zénon et Chrysippe, entre autres), épicurienne (basée sur Épicure) et académicienne (basée sur Arcésilas et d’orientation sceptique). L’approche aristotélicienne est familière aux Chrétiens en raison de sa suprématie dans la tradition scolastique en Moyen-Âge. Le matérialisme d’Épicure et le scepticisme académicien rappelle pour nous le rationalisme scientifique moderne. Or c’est précisément les écoles platonicienne et stoïcienne, peut-être les moins accessibles à nous-autres, qui nous offrent le plus de sublime et de vertueux. Ces deux dernières sont d’ailleurs les écoles les plus répandues et réputées dans le monde romain — y compris la Gaule. Marseille, et puis Autun, étaient dotés d’écoles de philosophie et de culture générale d’une renommée considérable. L’école d’Autun était fréquentée par bien des jeunes gaulois prometteurs, tandis qu’on préférait parfois Marseille même à Athènes comme une destination pour les Romains désireux de maîtriser les savoirs grecs.

La philosophie antique comprend beaucoup de ce que nous appellerions « physique », « chimie », « optique » etc. La pensée des Anciens sur ces sujets-ci n’a pour nous qu’une valeur secondaire. À mon avis on aurait bien tort à renoncer à tout ce que les derniers siècles ont fait découvrir dans les sciences naturelles. Les Anciens avaient été, après tout, absolument modernes à leur époque. Platon fait incorporer, par exemple, les théories les plus récentes sur la géométrie dans ses conceptions des éléments et du cosmos. Pour nous, il serait inacceptable de renoncer aux avancements de la modernité scientifique, bien que son caractère diversifié et sceptique soit très différent de la philosophie antique. Acceptons alors la distinction entre sciences naturelles et philosophie, toute anachronique qu’elle soit. Eh bien, sur d’autres questions — notre raison d’être, la nature de l’âme, la vie bonne, la vertu, le destin, la providence, les dieux ou l’au-delà, qu’est-ce que la philosophie antique peut nous enseigner ? En effet, bien des choses.

Du cosmos

Soleil, rayons crépusculaires
Le Soleil : un dieu visible dont l’action fournit l’analogie de la providence divine.
(Photographie par Mila Zinkova, CC BY-SA 3.0)

Le néoplatonicien Proclus a énoncé une explication très cohérente de la raison pour laquelle nous existons.Proclus, Éléments de la théologie. (Son explication spirituelle accorde bien d’ailleurs aux idées scientifiques contemporaines ; on pourrait la comparer au Big Bang.) Les âmes, les êtres animés, la nature matérielle, ne sont autres que les produits collatérales d’une essence providentielle dont la nature bénéfique et génératrice est telle qu’elle est incapable de ne pas produire. Le soleil nous en fournit l’exemplaire. Cet astre ne saurait cesser à briller, à donner la lumière et la chaleur infinies. Mais il les donne sans se troubler, sans s’épuiser, sans faire d’efforts. De la même manière, les plus hauts dieux n’ont pas façonné le monde pour tourmenter ou pour mettre à l’épreuve les malheureux mortels. Au fond, ils sont indifférents à nos sorts ; c’est-à-dire que leur existence transcende la nôtre.

Pourtant, les mortels ont beaucoup à gagner en s’orientant vers la divinité, en se préparant à recevoir ses bienfaits. Ainsi les prières et les sacrifices ne servent ni à contraindre les dieux, qui sont incapables d’en être, ni à éviter leur colère, qu’ils sont incapables de ressentir. La piété tend plutôt à améliorer la sort de l’âme tout en l’élevant vers les dieux.Iamblichus, De Mysteriis. Comment recevoir les dons du soleil ? Eh bien, ce n’est pas en se secrétant dans une cave, ni en se couchant sous un lourd manteau. Alors, comment recevoir les dons des dieux ? Bon, il faut sortir un peu son âme de ce qui est de matériel, de mondain, qui la recouvre ; il faut s’exposer devant la radiance de la divinité. Donc, faire des offrandes, prier, méditer, chanter des hymnes, s’incliner devant des images des dieux, invoquer la présence divine.

Tout contrairement à la tradition judéo-chrétienne, la théologie platonicienne enseigne que l’âme est divine. Nous-autres sommes pour ainsi dire de petits fragments des dieux sur terre. Au fond, c’est une vision positive de l’être humain ; pourtant, en raison de sa fragmentation, notre divinité est menacée par les distractions matérielles. Les désirs, les appétits, les malheurs qui affligent nos corps peuvent fatiguer l’âme jusqu’à ce qu’elle oublie sa vraie vocation. À savoir : s’attacher au bon, au beau, au vrai afin éventuellement de s’y réunir ; et ceci à travers les voies de la recherches des connaissances, de la communion mystique, de la contemplation. Cette espèce de pensée n’est pas sans rapports à l’hindouisme ou aux mysticismes chrétiens, musulmans etc. Dans le cas des derniers, la ressemblance n’est pas due au hasard ; le néoplatonisme a survécu auprès des érudits arabes et byzantins du Moyen-Âge, et a influencé profondément le mysticisme des religions abrahamiques.

Des devoirs dans la vie mortelle

Hercule combattant le lion
Hercule combattant le lion de Némée.
(Römisch-Germanisches Museum, Cologne)

Mais plus concrètement, que fera-t-on du terme que la Fortune nous donne sur terre ? C’est plutôt le concerne du stoïcisme. Comment se consoler des aléas de la vie quotidienne, devenir le maitre de soi, agir sans peur face à l’injustice — voilà précisément la spécialité de ce courant philosophique. Qui, d’ailleurs, n’est nullement dépourvu de vision métaphysique. Selon la vue des stoïciens, celui est libre qui se résigne à l’inévitable. Les évènements extérieurs ne sont regrettables que dans la mesure où ils provoquent une réponse émotive dans l’âme. On ne peut pas contrôler les évènements extérieurs, mais notre réponse émotive est fermement sous notre contrôle. Se résigner avec équanimité aux bonheurs et aux malheurs, c’est être libre. Libre de la folie, de la peur, du désir. Or, cette liberté nous donne une opportunité importante à servir les autres et le bien commun. Si on ne craint pas les conséquences de ses actions — si on est prêt à accepter la perte de son poste, de ses conforts, de sa vie — rien n’empêche l’opposition vaillante à l’injustice. Qu’est-ce que Mahâtmâ Gandhi ou Nelson Mandela auraient pu achever s’ils étaient proie à la peur, s’ils s’attachaient à des biens ou à des positions éphémères ? Le « succès » conventionnel ne leur intéressait pas ; et pourtant ils ont vaincu. Voilà précisément ce que le stoïcisme met en valeur. Le type emblématique de cette résistance persévérante face à des difficultés presque insurmontables est Hercule, le héros spécial des stoïciens.

Textes recommandés

Pour les non-philosophes, on peut recommander quelques textes d’introduction.

  • Saloustios : Des Dieux et du Monde, un très bref résumé de la religion païenne marquée par les courants du IVe siècle : néoplatonisme, synthèse de la philosophie et de la religion traditionnelle, théurgie, etc.
  • Épictète : Enchiridion, un manuel sobre mais pratique de la philosophie stoïcienne.
  • Les Vers dorés de Pythagore (anglais), (français)
  • Cicéron : La nature des dieux, un dialogue qui contraste de façon accessible les théologies stoïcienne et épicurienne et le scepticisme académicien
  • Proclus : Éléments de la théologie, de loin l’œuvre la plus sérieuse notée jusqu’ici, elle explique la cosmologie néoplatonicienne d’une façon logique et systématisée
  • Musonius Rufus : Fragmenta.Cynthia King a publié une traduction en anglais sous le nom de Lectures & Sayings (Revised Edition), ISBN 9781456459666. Rufus représente une expression de la philosophie stoïcienne qui est à la fois plus progressiste est moins pessimiste de celle d’Épictète.
  • Marc-Aurèle : Pensées à moi-même, une œuvre classique d’inspiration stoïcienne

Les textes anciens sur les druides sont de grand intérêt, mais malheureusement la plupart d’entre eux sont tellement superficiels ou lacunaires qu’ils ajoutent peu à nos remarques générales ou à un article de Wikipédia. Ils sont amplement commentés chez Stuart Piggott (1985).Stuart Piggott (1985), The Druids. Thames and Hudson. La synthèse de Jean-Louis Brunaux (2006) est brillante et originelle.

Pour explorer les pensées de la famille platonicienne, les dialogues de Platon sont naturellement le point de départ indispensable. Le dialogue le plus consulté aujourd’hui est sans doute La République, mais Timée et (œuvre très difficile) Parménide ont plus d’importance du point de vu néoplatonicien. Phédon et Phèdre sont essentiels aussi. Le grand texte fondateur du néoplatonisme est les Ennéades de Plotin. Une synthèse de néoplatonisme et religion populaire, de tendance mystique, est achevée chez Jamblique dont les œuvres importantes sont Des Mystères (publié sous pseudonyme), Collection des dogmes de Pythagore, et De l’Âme.


Références

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
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