PRATIQUES RECONSTRUCTIONISTES GAULOIS

Dons · Échanges · Mysticisme

Que d’autres religions exigent l’adhésion à un crédo ou à une code de croyances. Ce n’est pas là la voie du paganisme. Notre religion se fonde sur des faits, pas sur de vides mots ou les angoisses des monologues intérieurs. En fait, il vaut mieux ne pas appeler nos adhérents « croyants » du tout ; le mot des Anciens est cultórés, « adorateurs » ou plus littéralement « cultivateurs ». Sont hors de propos pour nous les détails mesquins de la doctrine, les pinailleries qui distinguent l’hérésie de l’orthodoxie. La clé, c’est le fait de l’adoration. Que nous nous appliquions à offrir aux divinités le service dû et diligent ; elles nous le récompenseront, quoi que soit la théologie qu’on contemple entre temps.

Tout ça ne veut aucunement dire que nous nous foutions de la théologie ou de la philosophie. Au contraire, les idées païennes à ces sujets ont atteint le plut haut niveau de sophistication, achevant les fondations sur lesquelles sont érigées la philosophie aussi bien que la science modernes. Ça veut dire plutôt que l’acte d’adoration fournit un lieu de rencontre avec les dieux pour les cultórés des écoles philosophiques diverses, ou d’aucune. Épicure ou platonicienne, stoïcien ou sceptique, tous et toutes peuvent rendre le même hommage aux immortel·le·s et bénéficier des mêmes sacrifices publics.

Les dons

Prêtre versant une libation
Un prêtre versant une libation d’une patère. (Nota que ce prêtre-ci ne se couvre pas la tête, comme c’est habituel pour les sacrifices ritu romano, « selon le rite romain ».)
(Musée Rolin, Autun)

L’acte central d’adoration dans le monde romain est l’offerte des dons aux dieux et aux déesses. Ces dernières ont beau ne pas nécessiter notre générosité, entièrement auto-suffisants qu’elles sont, l’acte humain de renoncer à un bien nous ennoblit tout en nous rapprochant des dieux et déesses. Par conséquent, il nous permet de participer à leur providence.

On peut faire des dons, même sur une échelle modeste, tous les jours. La plupart des reconstructionistes ont chez eux et elles un petit sanctuaire auquel on vénère les divinités patronnes et/ou les lares et genii qui protègent leurs personnes et leurs foyers. Les occasions spéciales exigent des offrandes spéciales. Si vous connaissez d’autres reconstructionistes gaulois·es près de vous, vous pouvez choisir de vous rencontrer pour célébrer une fête antique.

Un mortel ou une mortelle, que peut-elle offrir aux dieux et déesses ? Eh bien, il était une fois que prendre des viandes était en bonne partie une fonction du sacrifice des animaux. Cette pratique était aussi largement répandue qu’intégrée à l’économie et aux mœurs des anciens. Par contre, les habitants et habitantes des villes de nos jours ne tuent pas d’animaux sur place ; on achète de la viande depuis une charcuterie ou un supermarché. Une offrande de viande ou d’entrailles provenus des sources de ce genre pourrait convenir aujourd’hui. En prononçant des prières dédicatoires, on jette la viande sur un feu en plein-air — une barbecue serait une bonne option moderne, du moins quand il fait beau. La viande qui n’a pas été incinérée (de loin la plus grande partie) peut ensuite être désanctifiée en la touchant de la main, et on la mange.

Malgré son caractère iconique, pourtant, le sacrifice animal n’est aucunement la seule sorte d’offrande qu’attestent nos sources — elle n’est probablement pas la plus fréquente non plus. Les produits végétaux et nourritures sont des dons très communs. On peut consigner au feu des fruits, des grains, de la mola salsa (un mélange de farine et de sel) et des plats préparés de la même manière que des entrailles. On peut également les présenter à un autel, puis les désanctifier pour les rejeter plus tard. On trouve aussi des feuilles et des fleurs en offrandes convenables — ou du moins en décors d’autel agréables !

Les libations sont à verser sur terre ou sur un autel. Les breuvages alcoolisés, surtout le vin, sont le type de libation le plus familier ; néanmoins, on offre quelquefois de l’eau, du lait, de l’huile d’olive...

Il va presque sans dire qu’un autel serait incomplet sans allumer des flammes (normalement des bougies, mais aussi des feux de joie lors des occasions spéciales) et sans brûler de l’encens.

À part de ces matériaux immédiatement périssables, on offre aux dieux et déesses une grande variété de biens durables. Il ne s’agit pas ici de dons quotidiens, mais de ceux offerts lors des circonstances spéciales. Ce qui nous emmène à la considération d’une des actions adoratrices les plus fondamentales dans la tradition classique : celle de faire et d’accomplir des vœux.

Armes “sacrifiés”
On a “sacrifié” ces armes de l’âge du fer en les pliant voire en les brisant. Ainsi dédiées aux dieux et déesses, elles deviennent inutilisables pour les hommes.
(Rheinisches Landesmuseum Trier)

Les échanges

Ici, on n’offre un don ni spontanément ni par la routine quotidienne. Un adorateur ou une adoratrice s’engage solennellement avec une ou plusieurs divinités, comme ça : « Si mon fils revient sauf de la guerre, je te dédierai un autel sur mon terrain. — Si mon investissement rend telle-ou-telle dividende, je donnerai une-telle proportion à telle-ou-telle fondation en ton honneur. — Si je réussis à mon examen, j’écrirai un hymne en ton honneur. — Si telle-ou-telle personne tombe amoureuse de moi, j’érigerai une statue de toi sur ma véranda. »

Pour les chrétiens, l’idée d’une échange de ce genre — tellement formelle, tellement légaliste — apparaît bourgeoise et peu spirituelle. Mais réfléchissons-nous sur ce qu’elle exprime. Il y a un ordre implicite dans le cosmos dans lequel les dieux et déesses sont les partenaires des mortel·le·s. Il n’y a pas forcément de rivalité entre nous ; les dieux et déesses ne surveillent pas jalousement, guettant n’importe quelle petite faute de notre part. Au contraire, tout ce qu’il faut est de nous confier à leur providence et de recevoir d’elles quelques biens que nous sommes en position de prendre. En reconnaissance de leur bienfaisance providentielle, il nous convient de leur redresser quelque chose en échange. D’autre part, si nous ne recevons pas les biens espérés, évidemment il y avait quelque raison pour le fait, et nous ne sommes pas obligés d’en repayer la dette. Nulle raison de fulminer contre la cruauté des immortel·le·s, nulle crise de foi. Ce qu’on allait résigner, eh bien, on peut le garder. (Naturellement, cela nous donne une motivation pour fixer un juste « prix » aux dons qu’on offre aux immortel·le·s !) Peut-être que notre destin était autre ; peut-être que le numen d’une autre divinité est intervenu en opposition ; peut-être que la valeur des dons que nous avons offerts était aussi basse (en relation à nos moyens) qu’elle révèle la faible importance que nous-mêmes y attachions.

Les objets dédiés ex voto — en accomplissement d’un vœu — sont très variés. Parmi eux sont :

Les mystères, la théurgie

Igeler Säule
Le marchand qui a fait édifier ce monument funéraire — la célèbre colonne d’Igel, près de Trèves — commémore peut-être les fruits d’une initiation mystique : l’âme, représentée en Hercule, s’élève aux cieux où Minerve l’accueillit.
(Rheinisches Landesmuseum Trier)

Ce qui est plus conforme aux préjugés chrétiens sur ce qu’une expérience « religieuse » devrait impliquer, ce sont les mystères. Quelques-uns, dont les mystères éleusiniens ou orphiques ou bien le culte des Grands Dieux à Samothrace, étaient déjà anciens et bien établis dans le monde classique. D’autres étaient plus récents et jouissaient surtout d’une image orientale « exotique » ; parmi ceux-ci on peut compter le culte de la Grande-Mère, de Jupiter Dolichénien, d’Isis et surtout de Mithras.

Tous variés qu’ils soient, ces cultes présentent des traits en commun :

On perçoit dans presque tous ces aspects des parallèles avec la franc-maçonnerie d’aujourd’hui (ou, plutôt, à son zénith aux XVIIIe et XIXe). Et comme les maçons et maçonnes, les initié·e·s d’un culte de mystères ne sentaient pas du tout que les non initié·e·s suivissent une « fausse » religion à contraster avec leur plus hautes vérités. Qui est de plus, l’adhésion à des cultes de mystères était non exclusive. L’empereur Julien était initié aux mystères d’Éleusis et de Mithras tout en étant dévoué aux cultes de la Grande-Mère et du Soleil invaincu.

Qu’est-ce qui reste, alors, pour les reconstructionistes modernes espérant participer aux mystères comme le faisaient les Anciens ? Eh bien, rien de direct, malheureusement. On peut décorer sa maison des paraphernalies des cultes anciens, on peut visiter les anciens sites de culte, on peut lire des sommations du sujet et des fonctions des mystères divers. Mais la chose même est disparue. La fraternité et les secrets qu’elle enseignait se sont définitivement éteints.

La tradition occidentale des mystères initiatiques étant terminée, chez qui peut-on chercher une expérience semblable ? Outre la franc-maçonnerie, une autre institution analogue — et plus adaptés à nos buts religieux — pourraient être quelques-uns des ordres druidiques en fonction aujourd’hui. Or, quelques ordres druidiques sont purement néo-païens, voire hostiles au reconstructionisme sérieux. D’autres, surtout du continent européen, peuvent être compromis par des liens à l’extrême-droite. Mais il y en a quelques peu, notamment Ár nDraíocht Féin, basé en Amérique du Nord, qui embrassent volontiers l’érudition réelle tout en offrant une approche structurée et fraternelle à leurs activités. En France, l’Assemblée Druidique du Chêne et du Sanglier semble relativement compatible avec le reconstructionisme. (Il ne faut pas, cependant, confondre des organisations de ce genre aux druides dans le sens historique, ni suivre aveuglement leurs rites à l’exclusion des autres.)

L’Amérique latine a une riche tradition de religions initiatiques dont l’activité principale est de communiquer avec des esprits (que nous comprendrions comme des dieux mânes, des génies ou des divinités, selon le cas). Ces religions — parmi lesquelles je ne cite que le vodoun, l’umbanda, le candomblé et la santéria — sont de tradition africaine, et principalement de tradition yoruba, avec des éléments issus du catholicisme populaire et des religions amérindiennes. J’en fais mention à cause des parallèles, et non pas des apparentés directes, qu’elles présentent aux adeptes des religions gauloises.

Si on veut fonder ses pratiques sur la philosophie antique, on peut bien suivre Plotin ou Jamblique en tâchant d’achever, par les études et la contemplation, une communion mystique avec le divin. Jamblique a également développé une suite d’outils et de pratiques rituels pour aider cette tâche, qu’il dénomme théurgie ; malheureusement, ses écrits sont imprécis sur les détails. Mais là, il faut apprendre par des expériences...


Notes

Même là où les remarques ci-dessus sont de caractère trop général à mériter une citation spécifique, je voudrais avouer ma dette aux érudits suivants, anciens et modernes :

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
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