« Les désirs et instincts spirituels sont aussi variés au sein de la famille humaine que le sont les appétits physiques, les teints et les traits. Un homme n’est moralement de son mieux que quand il est doté du vêtement religieux dont la couleur, la forme, la taille s’accommodent le plus agréablement au teint, aux angularités et à l’envergure spirituelle de l’individu qui le porte. »
—Mark Twain[1]

POURQUOI LA RELIGION GAULOISE ?

La question est simple, la réponse ne peut l’être. En effet on doit répondre à de multiples questions : Pourquoi la religion ? une religion polythéiste ? celle des Anciens ? et des Anciens de la Gaule ?

Tout d’abord, nous voulons un régime spirituel parce que nous sommes des animaux spirituels. Les êtres humains n’ont jamais cessé de se demander que signifie cet univers bizarre où nous nous trouvons. La réponse « rien » ne captive pas l’imagination, elle ne convainc pas non plus. Or toute autre réponse doit être, dans quelque sens, spirituelle. Même la réponse « rien, mais... » entend un appel à de plus hautes valeurs. « Rien, mais puisque nous sommes ici, il faut vivre authentiquement. —Rien, mais en toute sorte on a l’un l’autre, il convient d’être sympa. —Rien, mais tant que je suis ici, je ne supporte pas que personne ne m’embête. » D’où viennent des valeurs de ce genre ? Le désir de l’authenticité, de courtoisie mutuelle, de fierté individuelle : elles impliquent toutes une conception de la vie bonne qui transcende les donnés matériels immédiats. Voilà la province de la philosophie et de la religion.

Or, ceux et celles de nous qui habitons l’Occident connaissons très bien les conceptions du transcendantal qu’offrent le christianisme, le judaïsme, l’islam. De plus en plus de nous trouvons leurs prescriptions trop naïves, leurs analyses assez superficielles. Dieu a créé l’homme uniquement pour le soumettre à la tentation, le faire souffrir et enfin lui ôter la vie. Ce qui est de pire, Dieu n’a créé la femme que pour servir l’homme — malheureuse créature ! elle ajoute à toutes les afflictions qu’a l’homme, celle d’être sa propriété. Quel dieu a pu être l’auteur de tels tourments ? On ne discerne guère rien de divin dans le caractère du dieu d’Abraham ; il montre plutôt la perversité d’une âme infantile sans discipline.

Pire encore, on n’a pas de recours, car cet espiègle divinisé est censé le seul dieu à être. Le seul à répondre à tous les appels de tous les gens à toutes les époques. En même temps que le pieux roi Henri VI prie Dieu de conduire les Anglais à la victoire en France, Jeanne d’Arc en fait de même de la part des Français. Quel dilemme pour le Tout-puissant ! S’il écoute les uns, il faut écraser les autres ; mais tous les deux lui font appel de la même manière et avec la même piété. Évidemment, la seule solution est de les écouter tous les deux, et d’en multiplier les affrontements sans pitié.

Les religions monothéistes multiplient leurs conneries : la fantaisie juvénile d’un paradis remplis de houris, la crainte folle d’une éternité de damnation, le plaisir pharisaïque d’espérer la damnation des autres... Les religions abrahamiques prétendent prêcher la charité tout en semant l’homophobie, le sexisme, la guerre sainte. Elles insistent que toute âme soit coupable de péchés, qu’elle croupit là-dedans, odieuse à son Auteur... même l’âme d’un enfant nouveau-né à qui personne ne saurait rien reprocher. Et ça pour faire des péchés une espèce de marchandise ; la miséricorde se vent à quelques répétitions du rosaire ou à un voyage à la Mecque. C’est un régime maintenu par la peur constante, par l’exploitation des sentiments d’insécurité, et par les promesses les plus absurdes.

Il faut signaler cependant notre condamnation de toute préjugée ou phobie contre n’importe quelle religion, y compris l’islam, le christianisme et le judaïsme, ou contre ses pratiquants. Les païens antiques ont persécuté parfois les Chrétiens et les Juifs, et ils avaient absolument tort de le faire. Notre réalité contemporaine est fondée sur un pluralisme humaniste qui reconnaît à tout le monde la liberté de pensée et de culte.

En même temps, nous devons faire appel à cette même liberté religieuse en admettons que, à nos avis considérés, les religions abrahamiques offrent peu qui puisse répondre aux besoins d’une personne réfléchie et moderne. Pourtant, l’agnosticisme insipide ne nous offre rien. On est humain : on a soif des rituels, des paradigmes, des symboles pour affirmer la signification de nos vies. Ceci est tout à fait naturel, et pourvu qu’on se mette en garde contre tout fanatisme, il est parfaitement inoffensif. Mieux, la religion nous conduit à vivre mieux, ou du moins à meilleur gré. On a le sentiment de suivre quelque chemin ; les symboles qu’offre la religion en deviennent les panneaux. On se fie aux dieux et aux déesses et on remplit son devoir avec confiance.

Quelle religion, alors, peut bien répondre aux besoins des gens modernes ? Une religion dharmique ? Une religion neuve ? Eh bien, celles-là souffrent de beaucoup des mêmes fautes que les religions abrahamiques, celles-ci manquent trop souvent de sophistication. Des religions dites « organisées », l’hindouisme est peut-être la plus attirante, mais lui aussi repose sur les différences de caste, l’exploitation sociale et sexuelle ; il prêche, comme le bouddhisme, que la vie est odieuse, que les sensations sont mauvaises, que tout que nous pouvons sentir est illusoire. Or nos esprits se révoltent naturellement contre toutes ces idées. On n’a pas été doté de sens uniquement pour qu’on refuse de l’employer. Tout comme les fantaisies abrahamiques du paradis, les concepts de mâyâ, des quatre « nobles » vérités, de mokshâ promettent de laisser échapper aux problèmes du vrai monde. Mais il faut précisément y faire face.

À mes collègues néo-païens, je dois reprocher leur tendance de se réfugier dans des théories intellectuelles démodées, remontant plus souvent au XIXe siècle qu’aux racines païennes antiques. Ils y substituent volontiers n’importe quelle mélange de psychanalyse, d’objets et méditations New Age, de prétendue tradition « matriarcale », d’écologie romantisée et peu rigoureuse. On valorise les simples paysans au lieu des gens urbains, les sociétés tribales au lieu des États, la nature au lieu de la culture. Tout ça a une certaine attraction... sauf au moment où on veut examiner ses prétentions de manière rationnelle. Prétendant offrir une opposition de principe à tous les maux de notre société, cette idéologie facilite plutôt que ses adhérents s’échappent à notre réalité complexe. Peu à peu, le bon sauvage se recule jusqu’à ce qu’on le reconnaît comme une chimère. La patriarchie, l’État, l’industrialisation existent : un cercle aux tambours ne suffit point pour les confronter.

Ce dont on a besoin aujourd’hui est une religion pluraliste, flexible, chez soi dans ce monde-ci. Elle doit être en même temps suffisamment sophistiquée pour répondre de manière convaincante à nos questions les plus profondes. Et elle doit être adaptée à des vies urbaines dans des sociétés d’État.

La première choix est naturellement de revoir la religion qu’on suivait avant de tomber sous l’influence du christianisme ou de l’islam. Tant celle-ci soit basée authentiquement sur les complexités et les contradictions d’une vraie société, tant elle peut servir et être adaptée à nous-autres. Il faut résister à la tendance de substituer nos préjugés contemporains aux pratiques et aux croyances des Anciens. Sinon, comme chez trop de néo-païens, le polythéisme devient une toile blanche sur laquelle on peint l’image des craintes et des préoccupations inculquées précisément par les religions abrahamiques. Or, la religion classique — émanant surtout de la Grèce, mais englobant tôt ou tard la plupart de l’Europe, l’Afrique du Nord, le Proche- et Moyen-Orient — cette religion est précisément celle dans laquelle notre culture a été formée. C’est la religion d’Homère et d’Ovide, de Cicéron et de Périclès, d’Aristote et de Marc-Aurèle. La sophistication indéniable de cette tradition a engendré la Renaissance, l’Âge des Lumières, en effet la modernité contemporaine. Ses mythes se répandent dans notre art et littérature ; l’architecture de ses temples a formé celle de nos édifices publics. En retrouvant l’Antiquité, on se retrouve soi-même. Ce qui vaut pour la religion et la philosophie avant tout.

Il faut cependant souligner la spécificité des différentes parties du monde antique où les éléments de cette culture se rencontrent et s’hybridisent de façons diverses et originelles. La Gaule a ses propres racines, sa propre identité au sein du monde romain, ainsi que l’ont l’Espagne, l’Afrique du Nord, la Syrie, etc. La spécificité gauloise est due à l’encontre fécond entre la civilisation gréco-romaine classique et les traditions locales anciennes (celtique ou autre). On pourrait même tâcher de reconstruire la religion de la Gaule indépendante, et donc à l’écart de la domination de la civilisation latine (une époque où la Gaule était d’ailleurs étroitement liée sur les plans intellectuel et commercial aux Grecs et aux Étrusques). Bien que plus difficile sur le plan technique, ceci serait évidemment une entreprise légitime.

Dans les deux cas, on se retrouve en régime polythéiste, s’accommodant aisément à toutes sortes de croyances et de tempéraments. La mêlée confuse de notre univers, ne peut-on pas bien croire qu’elle soit dirigée par une variété d’influences divines ? qu’une jeune femme chômée, un bébé à la mamelle, devrait prier à une autre puissance qu’un juge âgé qui va prononcer la sentence ? La vie est variée, la religion doit l’être aussi. Quel appauvrissement, cette nouvelle foi qui n’a que le mythe de Jésus-Christ et des prophètes ! Quelle absurdité, l’idée qu’à une myriade de problèmes spirituels il n’y a jamais qu’une solution possible !

J’imagine que dans la plupart des cas, les gens vont préférer d’honorer les dieux et les déesses de son peuple ou de sa région. Mais les Anciens accueillaient volontiers des cultes étrangers — ceux par exemple d’Isis, de Cybèle ou de Mithras, tous assez répandus en Gaule. En revanche, les dieux et les déesses de la Gaule s’adoraient également par les personnes étrangères, et celles domiciliées en Gaule et celles en dehors (le culte d’Epona étant particulièrement répandu en dehors de la Gaule). Encore aujourd’hui, bien des gens croient avoir entendu l’appel des dieux celtiques. Tant pis s’ils se laissent être séduits par l’obscurantisme New Age, très souvent faute de bonnes informations sur la religion antique. En tout cas, les dieux et déesses de la Gaule ne se taisent pas. Qu’on ressente des affinités ancestrales, spatiales ou purement spirituelles avec eux, un très grand nombre de personnes s’inclinent déjà vers eux.

La tâche de ces pages-ci est de faciliter ce qu’on les connaissent. Que les Muses nous guident, et racontent à travers nous la gloire des immortels.


Notes

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