LES DIEUX ET DÉESSES DE LA GAULE

Un panthéon gaulois ?

Bronze de Mercure Panthéus
Bronze fragmentaire de Mercure Panthéus, soit Mercure entouré des onze autres Olympiens et Olympiennes et quelques divinités de plus (pour un total de seize ici). Si les Gaulois aimaient évidemment les schémas comme les douze divinités d’Olympe (de même titre les sept planètes, les quatre saisons, etc.), leurs habitudes cultuels n’y étaient pas rigoureusement assujéties.
(Musée Rolin, Autun)

Il n’existe strictement pas de panthéon unique, partagé par tous les Celtes de toutes les époques. Ceux qui ont essayé d’en « créer » un ont trop souvent appliqué la littérature mythique de l’Irlande médiévale machinalement à la Gaule classique voire indépendante : une méthode erronée aux résultats malheureux.

Chaque nation gauloise possédait son propre panthéon (une nation ou cité correspond grosso modo à une province voire à un département français). Pourtant, on peut y observer une constellation de caractéristiques et tendances communs selon la région. On présent ici le panthéon civique des Trévires à titre d’exemple. Ce panthéon nous est assez bien connu en raison du grande nombre d’épigraphies qu’on a retrouvé sur le territoire trévire. On simplifiera le tableau afin de favoriser les dieux les plus abondamment attestés sur les inscriptions.

Les Trévires ont surtout honoré les divinités suivantes :

Voilà en effet les plus grand dieux et déesses de la Gaule centrale et septentrionale. Remarquons quelques circonstances intéressantes. D’abord, les dieux les plus importants (Mercure, Jupiter, Mars, Apollon) portent des noms latins ; pourtant, leurs parèdres féminines portent des noms celtiques — à la seule exception de Junon et Minerve, partenaires avec Jupiter dans la triade capitoline. Cette exception montre l’importance que les Trévires ont attribué à la triade qui garantit le salut de Rome, et donc de leur propre bien-être politique et économique. Toutefois, le phénomène de la liaison des dieux romains à des déesses celtiques — qui a souvent été remarqué et commenté — démontre la cohabitation romano-celtique et la difficulté d’en extraire une religiosité celtique « pure ».

Lénus Mars nous donnent un exemplaire d’un autre genre de synthèse romano-celtique : l’attribution à une divinité romaine d’un nom, et donc d’une identité, celtique. La divinité la plus souvent identifiée ainsi est Mars. À la différence de l’Arès grec, Mars joue un rôle honorable comme défenseur de la patrie, défenseur des champs, voire défenseur contre les maladies. Comme garant de la sûreté de la cité, Mars est susceptible à être identifié aux dieux celtiques qui avaient dû jouer un rôle semblable à l’époque de la Gaule indépendante : ici Lénus Mars, en Armorique Mars Mullon, parfois Mars Toutatis, Mars Camulus, Mars Cicolluis, etc.

Mars n’est pas le seul dieu ou déesse celtique à être doté d’un surnom celtique. Mercure, Apollon, Silvain, parfois Jupiter ou Minerve, ont tous reçu la même honneur. Chez les Trévires, on a Mercure Cissonius et Mercure Visucius ; Apollon Grannus ; Silvain Sinquas ; et même « Vertumnus (latin) soit Pisintus (indigène) », reliant deux dieux relativement obscurs.

Parmi les dieux et déesses strictement classiques, Vulcain, Diane et Hercule sont tous populaires. Le dieu du feu et patron des forgerons — la protectrice des forêts et des chasseurs — le parangon de la force et de la fortitude — tous ont trouvé chez les Gaulois une place importante.

Mais ce sont les dieux et les déesses aux noms celtiques qui ont retenu l’attention de la plupart des commentateurs modernes, peut-être parce que leurs caractères nous sont moins connus que ceux des Olympiens. Sucellus, accompagné de sa parèdre Nantosuelta sur bien des figurations, a quelque probabilité d’être le Dis Pater celtique dont font mention nos sources littéraires. Epona est mieux connue comme patronne des chevaux et des cavaliers ; elle apparaît presque toujours à cheval ou accompagnée de chevaux. Les Sulévies agissent un peu comme des génies ou des junons en garantissant le bien-être des personnes articulières ; outre cela, elles ne sont pas bien connues des érudits, et leur culte humble n’a pas laissé de représentation identifiable.

D’autres divinités, dont notamment des déesses, sont propres à la cité. Elles sont quelquefois les protectrices d’importants lieux (des sources, des montagnes, des fleuves...). On retient ici comme exemples trévires :

On intégrait au sein de cette religion, depuis le règne d’Auguste jusqu’à la crise du troisième siècle, le culte des empereurs et impératrices divinisées après leurs morts, le numen de l’empereur vivant, et l’honneur de la « maison divine », c’est-à-dire de la famille impériale.

Les génies, les nymphes et les lares faisaient partie de la pratique religieuse gauloise. La dévotion à eux s’intensifiaient en milieu militaire (et donc plus « romanisé ») et dans les plus grands centres urbains. Chez les Romains, chaque régiment, chaque société et chaque association possédaient son propre génie. Les individus pouvaient prier à un génie ou à une junon, lesquelles garantissaient leur salut personnel. Les lares en garantissaient celui d’un foyer. Quant aux nymphes, on les trouve présidant à des sources, à des montagnes, à des arbres, etc.

À part des inscriptions, la sculpture religieuse peut nous montrer beaucoup de choses au sujet desquelles on voudrait savoir plus. Il y a par exemple les sculptures dites des genii cucullati, dont la signification est très discutée. La Gaule a livré aussi beaucoup de colonnes au sommet desquels un Jupiter équestre abat un géant aux jambes de serpent. Cela met évidemment en scène une sorte de gigantomachie, mais les détails nous échappent.

Pour apprécier cette différenciation d’un angle différent, on pourrait consulter le tableau sommaire des fonctions des dieux divers.

Les mystères d’Orient

Les villes, et surtout les régions militarisées, mettent à l’évidence les cultes orientaux. Bien que variés, ces cultes ont tous certains caractéristiques en commun : leur limitation à des initié·e·s organisé·e·s dans une structure hiérarchisée, leurs origines « exotiques » (persane, phrygienne, égyptienne ou syrienne selon le cas), et les avantages dans l’au-delà qu’ils promettent à travers les secrets et mystères qu’ils révèlent aux adeptes. Voici un résumé des dieux d’Orient qui ont connu du moins une période de vogue en Gaule :


Un document frappant

La liste ci-dessus énumère les divinités les plus importantes du centre, du nord et de l’est de la Gaule. Je l’ai rassemblée après d’assez longues analyses des inscriptions votives des Gaules belgique et lyonnaise ; si les Gaulois aurait fait quelque chose du genre, leur tableau ressemblerait peut-être au nôtre. Et s’ils l’ont vraiment fait ? En effet, des inscriptions religieuses érigées à Rome par un corps de cavaliers d’élite s’y accordent très bien. Le corps s’appelle les equites singulares Augusti (les cavaliers singuliers d’Auguste), et lors des dédicaces en question, ils étaient recrutés principalement en Gaule rhénane (mais aussi sur la Danube). Une d’entre elles (CIL vi: 31141), gravée sur un autel en l’an 133 de notre ère,David Colling (2010), « Les soldats belges dans la Ville de Rome à l’époque impériale », L’Antiquité Classique 79, p. 233. nous servira d’exemple. Faite à Rome, l’inscription est plus latinisée que celles de la Gaule elle-même ; mais le choix de dieux y honorés se comprend le mieux si on l’interprète dans une optique gallo-romaine. Une quarantaine de vétérans avaient contribué à l’érection du monument, et ont évidemment tâché d’inventorier tous les dieux les plus importants pour eux. On invoque en tout cas les divinités suivantes :

On invoque d’abord la Triade capitoline — garants de l’intégrité de l’empire — puis Mars et Victoria, si chers aux cœurs des militaires. La conjonction de Mars et de Victoria ne nous frapperait peut-être pas, mais ce couple se trouve plus souvent en Gaule qu’en Italie. Rappelon-nous l’apparition fréquente d’une parèdre féminine gauloise à côté de Mars (elle s’appelle Ancamna chez les Trévires, Nemetona ou Litavis ailleurs) ; certaines de ces parèdres se dotent parfois précisément du nom latin Victoria. Suivent Mercure et Félicité, dans une place d’honneur inattendue à Rome, mais logique pour les Gaulois, chez qui Mercure tient un rang très privilégié. C’est Félicité qui est la plus surprenante ici. Une divinité assez mineure chez les Romains a-t-elle vraiment le droit de précéder les Olympiens Apollon et Diane ? Tout s’explique à mon avis par le désir des singulares Augusti à Rome de se faire comprendre à Rome en cherchant un nom latin approprié à la déesse... Rosmerta, qu’ils l’interprétaient selon ses fonctions habituelles comme Félicité.

La déité prochaine est Salus, et voilà ce qui est difficile à expliquer. On s’attendrait à ce que Salus soit la parèdre d’Apollon, en tant qu’interprétation de Ðirona. Pourquoi les séparer ? Pourquoi promouvoir la déesse plusieurs places avant le dieu ? C’est peut-être pour rapprocher successivement la Félicité, le Salut, les Destins, qui pouvaient figurer en tant qu’abstractions dans le contexte du culte impérial.Colling (2010), p. 235. Les deux noms suivants ne sont pas typiques de la Gaule, mais ne nous surprendraient pas en zone militaire — il s’agit des Parques et des dieux des Champs. Ces derniers sont surtout honorés dans les provinces danubiennes, et reflètent peut-être le caractère mixte des singulares Augusti : il ne s’agit point d’un corps exclusivement gaulois.

Les divinités suivantes sont des favorites en Gaule, comme on l’a vu : Silvain, Apollon, Diane. La prochaine, Epona, porte même un nom celtique. Epona est probablement la seule déité celtique à recevoir un culte régulier à Rome. Vulgarisée par des cavaliers (et peut-être par des marchands ?) gaulois, son nom serait devenu familier à tout le monde qui lisait cette inscription. Les Mères ne seraient pas aussi connues, mais leur nom rend leur fonction immédiatement compréhensible. Dans toute cette longue liste, seules les Sulévies proclament ouvertement leur spécificité gauloise (du moins qu’il ne s’agissent pas d’une dénomination redoublée Matres Suleuiae « les Mères Sulévies »Colling (2010), pp. 236–237.) — mais les autres le trahissent d’une façon plus subtile.

Remarquons d’ailleurs l’absence de plusieurs dieux et déesses qu’un vrai Romain aurait probablement trouvés indispensables : Vesta, protectrice du foyer domestique comme celui de Rome ; Cérès, dont la place a été usurpée par Félicité ; Fortune, concurrencée ici par les Parques ; peut-être Vénus, Neptune ou Bacchus. À tous ces dieux (à part de Fortune dans la zone militaire) les Gaulois accordaient une place plutôt mineure.

On aperçoit une concordance remarquable entre le « panthéon » des singulares Augusti et notre liste ci-dessus. La nôtre, qui est plus longue, inclut également Sucellus, Hercule, Vulcain et des divinités locales. Celle des singulares Augusti n’inclut que deux (groupes de) divinités, les Parques et les dieux des Champs, qui ne figurent pas sur la nôtre.

L’inscription qu’on vient d’analyser n’est pas la seule de son genre. Mais il suffit de montrer que le « panthéon » que nous présentons comme une esquisse plus ou moins représentative de la religion en Gaule septentrionale et centrale, aurait été reconnaissable comme telle auprès des Gaulois eux-même.

Notes

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
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