FOIRE AUX QUESTIONS

Qu’est-ce que le reconstructionnisme gaulois ?

Il s’agit, tout simplement, d’un repris de l’adoration des dieux, des nymphes, des héros et des génies vénérés en Gaule par les Anciens. Nous ne pourrons jamais les adorer précisément de la même manière que nos prédécesseurs gaulois, car trop de détails liturgiques sont malheureusement perdus. Mais nous pouvons toutefois reprendre la tâche d’honorer les immortels dans la manière qui leur conviennent compte tenu de nos capacités, nos connaissances et notre époque.

Pourquoi ?

Bonne question ! On y répond en plein ici.

Qu’est-ce que vous croyez ?

Eh bien, on sait que les druides affirmaient quelques doctrines clé : l’immortalité de l’âme, la métempsychose (c.-à-d. la transmigration des âmes après la mort), la révélation du plan de l’Univers par des phénomènes naturels (notamment astronomiques).

Aucune de ces doctrines-là n’est « obligatoire » (tout le monde n’est pas druide). La société antique ne connaît pas de crédos. C’est la piété plutôt que la foi qui fait la religion, et il y a de très bonnes raisons pour ça. Ce sont les faits qui l’emportent sur les mots, et le paganisme s’intéresse en premier lieu au fait d’honorer les dieux.

Certes, plusieurs écoles philosophique fleurissaient en Gaule — d’abord chez les druides et parmi les érudits grecs de Marseille, puis dans les écoles d’Autun et ailleurs. Là encore, il s’agissait des discussions, des disputes voire des polémiques dans un contexte de libre pensée. On n’a pas songé à soumettre les philosophes à une inquisition (du moins avant la persécution malavisée des chrétiens) pour la même raison que l’État belge n’y soumet pas aujourd’hui les professeurs dans ses universités. Les érudits sont en principe libres de poursuivre leurs recherches, quelle que soit la religion de l’État.

Le culte, c’est le lieu de rencontre pour tous qui veulent y participer, quoi qu’ils croient. La spéculation théologique en privé, ça va, mais ça ne mérite pas d’empêcher la participation au culte.

Vous avez un livre sacré ?

Il y a raison de donner deux réponses simples à cette question : non, et l’Énéide.

C’est que les païens ne reconnaissent pas d’écriture sainte censée encapsuler tous les mystères de l’Univers (comme le prétendent certains croyants par rapport au Bible ou au Coran). Il y a pourtant des poètes inspirés (Homère, Hésiode, souvent Pindar...) aux écrits desquels les Anciens accordaient une juste vénération. Des uns pouvaient aussi conférer un statut semblable aux écrits attribués à Orphée, aux Oracles chaldaïques, ou aux œuvres des divins philosophes. Dans la littérature latine, seul Virgile peut prétendre à ce statut le plus exalté (sans préjudice des mérites d’Ovide ou d’Horace). On reconnaissait la qualité de Virgile de son vivant ; même avant que l’Énéide ne fusse finie, on en publiait des extraits pour satisfaire un public avide ; le poème servait comme un texte d’école incontournable. De la littérature gauloise, il ne nous reste malheureusement rien. Plût aux dieux qu’on en découvre quelques ouvrages des écrivains inspirés tombés dans l’oubli !

En attendant, on sait l’estime que Virgile trouvait, oui, en Gaule, parmi les Gaulois. Les Géorgiques sont de petites merveilles, mais c’est l’Énéide qui exprime le destin de l’Empire où les Gaulois de l’après-conquête se trouvaient ; c’est l’Énéide encore qui offre, à travers le livre VIème, une explication de la mortalité et du futur de l’âme dans l’au-delà. (Il y figure la transmigration des âmes, l’ancienne doctrine des druides.) On utilisait des vers de l’Énéide à des fins divinatoires (à en croire la Historia Augusta). Enfin, comme œuvre littéraire, elle est sublime. Elle possède le mérite, par rapport à l’Iliade, d’être le produit d’une tradition littéraire polie et soutenue. Aucun vers n’est démesuré. Même si le dernier livre est inachevé (question discutable), elle est parfaite.

Les dieux, ils ne sont que des archétypes, n’est-ce pas ?

Pas du tout. Pour nous, les dieux sont réels et distincts. Il ne faut pas confondre toutes les déesses, par exemple, à la Terre-Mère, ni tous les dieux au Dieu Cornu. Chaque divinité possède des caractéristiques, des modes d’action, des attributs qui lui sont propres. Apprendre à honorer les dieux selon la tradition de sa cité, c’est au cœur du reconstructionnisme polythéiste.

Le vrai polythéisme, celui des Anciens, offre des explications bien plus riches et plus profondes de la nature des dieux que n’importe quelle invention récente. C’est naturel ; les plus brillants esprits de l’Antiquité traitaient de la question : Platon, Aristote, Épicure, Varron, Cicéron, Plotin, Jamblique...

Il se peut que certains archétypes psychologiques ou littéraires réfléchissent éventuellement l’œuvre numineuse des dieux. En fait on s’y attendrait, puisqu’il est dans la nature des dieux d’illuminer les âmes (soit par la littérature soit par d’autres moyens), tout comme il est dans la nature du soleil d’illuminer les choses physiques. Mais cela ne veut absolument pas dire que les dieux soient des archétypes. Un rayon de la lumière du soleil n’est forcément pas le soleil lui-même.

Mais les Gaulois honoraient tant de dieux ! Comment les saisir ?

Quelques auteurs modernes ont pris l’habitude d’invoquer la multitude incompréhensible de dieux de la Gaule et de prétendre que les Gaulois n’ont honoré que des génies purement locaux. En fait, cette surabondance n’est qu’apparente. Les Gaulois d’une certaine région étaient dotés d’un panthéon assez restreint. Ce n’est que si l’on confond toute la diversité régionale dans un prétendu panthéon pan-celtique que la religion gauloise excède les limites de la compréhension contemporaine facile.

Par conséquent, les reconstructionnistes devraient adopter une région ou une cité particulière pour ancrer leur pratique religieux. Dans la plupart des cas, la choix de chacun sera assez simple ; on adopte normalement le culte de son pays natal, adoptif, ou ancestral, ou bien d’un pays qui présente un intérêt intellectuel spécial. (Parfois, bien sûr, une divinité peut nous appeler à nous lui dévouer même en dehors des liens de ce genre. Une personne peut donc sentir l’appel de se dédier à l’adoration du dieux méridional Apollon Bélénus, par exemple, même si elle est Parisienne de souche vietnamienne. Quand les dieux décrètent les choses de ce genre, il ne convient pas à nous de les contredire.)

Une fois une localisation particulière choisie, l’adepte doit chercher à en comprendre le panthéon, tant en système que dans ses composants. Les sources sont multiples : épigraphies, figurations, endroits sacrés... On trouvera sans doute assez de variété pour satisfaire des besoins spirituels très divers, sans la complexité démesurée qui aurait pu exaspérer le novice.

Vous acceptez bien sûr les huit fêtes de la roue de l’année ?

La « roue de l’année » est une construction néo-païenne du vingtième siècle. Or, nous essayons de nous fonder sur les réalités concrètes de l’histoire et l’archéologie de la Gaule antique. Nous savons que deux calendriers, au moins, s’y utilisaient : le calendrier julien, introduit par les Romains, et celui de Coligny, d’origine indigène. Pour les reconstructionnistes plus résistants au syncrétisme avec Rome, le calendrier de Coligny a une importance capitale. Malheureusement, son utilisation actuelle se heurte à plusieurs difficultés d’interprétation, dont le premier est de fixer le début de l’année ou du cycle quinquennal (différents chercheurs ont proposé que le premier mois, samonios, commence soit en mi-été, soit en mi-hiver, soit la Toussaint). Quoi qu’il en soit, le calendrier julien, qui aurait été contemporain à celui de Coligny, nous fournit beaucoup d’indications sur les jours fériés et des anniversaires divers. Si la plupart de ces informations proviennent de l’Italie, nous savons quelques dates importantes spécifiques à la Gaule, notamment le 1er août, date de la fête fédérale des Trois-Gaules à Lugdunum.

En tout cas, ni le calendrier de Coligny, ni le calendrier julien ne privilège aucunement la division de l’année en huit. Tous les deux nous présentent bon nombre de jours sacrés, qui ne correspondent pas spécialement aux huit « sabbats ». Ceux-ci semblent plutôt avoir être collés du folklore anglo-saxon, de la mythologie irlandaise, et de l’imagination wiccane. Il vaut mieux abandonner ce schéma.

La religion traditionnelle de la Gaule a bel et bien su sacraliser les saisons et d’autres évènements naturels, de même que les phénomènes naturels comme des sources, l’émergence du gui sur un chêne, etc. Mais il faut résister à la tendance moderne de la réduire en de simples cultes naturels. César nous rapporte dans la Guerre des Gaules, abrégeant Posidonius, qu’« ils ne comptent pour dieux que ceux qu’ils voient et dont ils éprouvent manifestement les bienfaits, le Soleil, Vulcain, la Lune ; les autres, ils n’en ont même pas entendu parler ». Mais il ne parle pas ici des Gaulois. César y décrit la religion des Germains, dont les mœurs sont, remarque-t-il, « très différentes » de celles des Gaulois (De Bello Gallico VI.21). Ces derniers, ne l’oublions pas, étaient dotés d’une prestigieuse classe de philosophes, préoccupés de l’astronomie, de la mathématique, de la moralité, et qui prêchaient explicitement que l’âme transcendait la période limitée d’une vie mortelle. Ce soin pour ce qui est de transcendantal, cette certitude de l’immortalité de l’âme, suffisent pour nous assurer que les dieux gaulois n’étaient eux non plus limités à la plaine phénoménale et immanente.

Et les sacrifices au sang ?

Comme presque toutes les religions de son époque — juive, grecque, védique, égyptienne, etc. — la religion gauloise pratiquait bien sûr le sacrifice des animaux. Les Musulmans le font encore aujourd’hui. Nous reconstructionnistes ne visons pas d’ailleurs ressusciter cette pratique, que la plupart d’entre nous qualifierions d’inhumaine. D’autant plus que nous connaissons bien d’autres dons qui sont commodes aux dieux : l’encens, les libations, les monnaies, la nourriture, les plantes, les figurations, les inscriptions, les monuments... Étant donné la grande variété d’alternatifs, nous ne sommes guère pressés à reprendre le sacrifice animal.

Avant l’époque romain, les Gaulois pratiquaient même parfois le sacrifice humain. Nous ne chercherons jamais à justifier cette pratique abominable, aussi honteuse dans l’antiquité que de notre temps. Notons en passant, cependant, que ce triste sort était normalement réservé chez les Gaulois à des condamnés, parfois à des captifs... et que Rome à la même époque condamnait les personnes de la même condition à la mort dans l’arène, en les consacrant non pas aux dieux mais à la distraction macabre de la foule... et qu’Homère entre autres raconte une longue liste de sacrifices humains commis par les héros grecs. Alors, la polémique gréco-romaine contre le sacrifice humain chez les Gaulois révèle une bonne mesure d’hypocrisie. Exceptionnelle chez les Gaulois, la pratique était aussi bien connue parmi presque tous les autres peuples de l’Antiquité. (Elle joue même un rôle central dans les théologies des religions abrahamiques d’aujourd’hui — sacrifice du fils d’Abraham, sacrifice de Jésus-Christ en expiation pour Adam...)

Vive les Celtes, éternels ennemis de Rome !

En fait, il est très simpliste de réduire les Gaulois à un archétype de la résistance à Rome. Ce stéréotype aurait étonné bien des Anciens d’autant plus que la Gaule est devenue éventuellement un exemplaire de rigueur de la fidélité provinciale. (La Gaule septentrionale d’Égidius et de Syagrius se préserverait volontiers comme un coin loyal de l’empire romain au beau milieu de la foulée barbare ; elle est la dernière partie de l’Empire occidentale à se rendre aux Germains.) Contre chaque Vercingétorix, on trouve un Diviciac — druide paisible, intellectuel aux multiples contacts commerciaux et personnels à Rome.

L’âge d’or de la Gaule indépendante ne s’est pas étendue pas plus d’un siècle avant la conquête romaine. Cette fascinante époque était marquée par l’urbanisation, le renfort des institutions d’état, un rencontre aux idées et aux produits venus de la région méditerranéenne... autant de traits qui allaient se développer de plus en plus profondément sous l’égide de Rome.

Pour simplifier un peu les choses, il convient de diviser l’histoire de la religion gauloise en trois époques : de la culture Hallstatt à celle de La Tène moyenne ; de la période de La Tène tardive (vers −120) jusqu’en 70 de notre ère ; et du Haut Empire, dont on pourrait dater la fin par la crise de l’invasion de 248. De la religion pendant la première époque, relativement peu est connu. Les fidèles des dieux gaulois s’associent en général plutôt à la deuxième époque, protohistorique et toujours assez distincte de la tradition romaine, ou à la troisième, âge d’or de la synthèse gallo-romaine.

En tout cas, il est inadmissible de perpétuer le portrait romantique des Celtes en sauvages nobles, isolés de toute influence extérieure dans leur pureté primitive. Quand les Gaulois se tournaient au sud, soit-ce vers l’Étrurie, vers Rome ou vers la Grèce, ils trouvaient beaucoup qu’ils admiraient.

Mais je veux que ma religion soit spontanée ! Toutes ces études-là réduisent le paganisme en pédantisme

Ne paniquez pas. Il faut d’abord connaître un peu de quoi on parle pour que les extases mystiques et les œuvres théurgiques puissent éventuellement suivre. Le problème est que nos conceptions de la religion gauloise sont profondément polluées par des préjugées romantiques d’une part, et de l’obscurantisme « ésotérique » de l’autre. Un sérieux examen des sources de la religion gauloise est donc un préalable nécessaire à des connaissances plus intimes de la divinité.

Par exemple, beaucoup d’auteurs néo-païens prétendent que la sorcellerie moderne représente les vestiges d’une religion antique ; mais la sorcellerie n’a jamais été une religion, la continuité avec l’Antiquité est très douteuse, et les autorités religieuses antiques se méfiaient de la sorcellerie jusqu’au point de l’interdire. On imagine, grâce à certaines figures charismatiques des mythologies irlandaise ou galloise (Ceridwen, Aranrhod ; Medb, la Morrígan, Brigit) que la religion celtique ait mis en avant les divinités féminines. Pourtant, somme toute, les dieux mâles sont nettement prédominants et sur les inscriptions et sous forme figurée dans les Gaules (il s’agit surtout de Mercure, de Mars, de Jupiter Optimus Maximus, d’Apollon...). Il est banal de constater que les Celtes n’aient pas eu de temples, tandis que l’archéologie nous en livre des centaines. Il faut tout d’abord se débarrasser des idées fausses de ce genre pour que les vraies connaissances aient lieu de fleurir.

D’ailleurs, il ne faut pas craindre l’érudition ou les recherches. Beaucoup d’idées néo-païennes se fondent sur des théories surannées ; il est très embarrassant de se rendre compte que ce qu’on a élevé en dogme ne doit plus même être admis comme théorie. Il vaut mieux accepter tout ce que les recherches professionnelles puissent nous enseigner ; sinon, on s’éloigne de la religion des Anciens pour retrouver des idées strictement modernes : folies nationalistes du XIXe siècle, polémiques idéologiques du XXe, et ainsi de suite. Or, les études sérieuses peuvent également être très stimulantes (voilà une des raisons pour lesquelles tant d’intellectuels y consacrent leurs vies...).

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nature des dieux

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