UN RECONSTRUCTIONISME CELTIQUE

Pour les personnes qui veulent adorer les divinités gauloises et qui résistent au syncrétisme gallo-romain, la possibilité existe de reconstruire une tradition gauloise de caractère largement celtique (la celticité n’excluant pas cependant des liens assez intensifs avec les mondes hellénisé et étrusque). Le prix qu’il faut probablement payer est de renoncer à suivre la tradition d’une nation spécifique (du moins qu’elle ne soit les Salyens de Provence, où les sources de ce genre sont relativement abondantes). La synthèse religieuse pan-gauloise qui en ressort sera donc nécessairement un peu artificielle.

Chaudron de Gundestrup
Une face intérieure du chaudron de Gundestrup
(modification d’une photographie de Malene Thyssen, licence Creative Commons)

Parmi les témoignages les plus anciens de la religion celtique, on peut noter les gravures du Val Camonica dont l’une représente le dieu aux bois de cerf qu’on nommera Cernunnos à Lutèce. Suit le chaudron de Gundestrup : le document capital, paradoxal et mystérieux de la religion celtique ancienne. D’autres représentations pré-romaines dont le caractère religieux est plus ou moins certain incluent des sculptures grossières au Midi et en Rhénanie (les Mars du bas-Rhône, la pierre à Holzerlingen...) et de rares figures en bois. Tels documents nous donnent une idée du symbolisme de la religion celtique (dieu aux bois de cerf, serpent à tête de bélier, dieu à la roue, etc.).[1]

On a aussi l’évidence des sanctuaires belges comme ceux à Ribemont-sur-Ancre ou Gournay-sur-Aronde, ou bien des temples quasi hellénisés comme à Glanum (Saint-Rémy-de-Provence) ou à Entremont (près d’Aix-en-Provence). Ils prouvent notamment que les Celtes, tant au sud qu’au nord, démarquaient clairement les espaces sacrées, soit par une fosse soit par un mur ; que les sanctuaires étaient souvent éloignés des zones peuplées ; qu’on y déposait des monnaies, des objets de luxe etc. sans que personne les y perturbe (une confirmation du remarque de Posidonius à ce propos) ; que les crânes humains décoraient régulièrement des endroits de ce genre ; et qu’on disposait des corps de certains animaux sacrifiés en les laissant putréfier dans des puits. Voilà un héritage un peu difficile à adapter à une société comme la nôtre, majoritairement urbanisée et soucieuse des droits de l’homme... Pourtant, il n’est pas impossible d’incorporer certains éléments semblables à son sanctuaire privé (mais jusqu’à présent on a pas, je crois, trouvé d’attestation directe d’un culte domestique pré-romain...).[2]

Statère, tête d’Apollon
Une version très évoluée de la tête d’Apollon sur un statère des Bajocasses (Bayeux). La tête est surmontée d’une devise de sanglier, comme apparaît sur des casques gaulois
(modification d’une photographie © Marie-Lan Nguyen, licence Creative Commons)

L’essentiel des textes grecs et latins traitant des druides (et parfois de leurs alliés, les vates et les bardes) font affaire à la période pré-romaine. Ils constituent alors une caste privilégiée exerçant les fonctions d’astronomes, de philosophes, de conseillers religieux, d’arbitres politiques et d’experts en métaphysique. (Certes, les efforts répétés de la part des empereurs de supprimer le collège druidique prouvent qu’il a en quelque sorte survécu à la conquête. Mais ceux qu’on rencontre chez Tacite, par exemple, ne sont plus que des sorciers prophétisant. Une importante attestation d’un phénomène religieux subalterne, mais rien d’étonnant par rapport à d’autres pays dans le monde romain. Les « druides » de l’après-Conquête ont perdu leur qualité spéciale de nobles philosophes experts dans l’astronomie et les autres sciences — en un mot tout ce qui les faisaient druides.)[3] Il faut distinguer les druides à l’antique des ordres néo-druidiques contemporains. S’il est possible d’atteindre aujourd’hui le rang de druide, le candidat ou candidate doit certainement faire de très longues études sur les connaissances antiques, et notamment en matière astronomique ; réfléchir profondément sur la nature des choses et de la place des êtres humains dans l’univers ; et, de préférence, enseigner ce qu’elle a appris aux autres candidats ou candidates éventuelles et à la société plus large.

Les monnaies de la période de l’indépendance ne sont pas muettes sur des questions religieuses. Elles attestent la fabrication gauloise des images hellénistiques de tel ou tel dieu, et notamment d’Apollon, de Jupiter et d’Hercule. Elles portent également d’autres symboles religieux comme des roues célestes.

Tarvos Trigaranus
Tarvos Trigaranus, le taureau à trois grues, du Pilier des nautes parisiens
(modification d’une photographie de Clio20, licence Creative Commons)

Matériaux julio-claudiens

En fin de compte, on pourrait incorporer des matériaux de l’époque julio-claudienne, où la plupart des Gaulois continuaient à vivre pour l’essentiel une réalité celtique sous des maîtres romains ou romanisés. Un document capital de cette période est le Pilier des nautes parisiens, qui atteste un syncrétisme précoce caractérisé par des juxtapositions un peu bizarre d’éléments indigènes et romains. Les celtisants peuvent donc faire attention aux panneaux « celtiques » du Pilier ; mais il ne faut pas oublier que le monument entier était dédié à Tibère Auguste et à Jupiter Optimus Maximus, protecteurs terrestre et céleste de Rome... Associons à ce genre de document ancien, la pierre dédiée à Mercure à Trèves qui représente Esus aussi bien que des figurations du dieu aux bois de cerf, du dieu au maillet, du dieu tricéphale et de Jupiter à la roue. Le relief de Reims qui illustre le dieu aux bois de cerf accompagné de Mercure et d’Apollon est assez typique de cette première vague de syncrétisme. (Bien que distinctivement gauloises, les colonnes de Jupiter équestre sont généralement plus tardives.) Le calendrier de Coligny daterait probablement de la même période.

Le gros des textes gaulois survivants auraient également été rédigés sous l’Empire romain. Une minorité est écrite plus tôt, surtout ceux écrits en caractères grecs voire étrusques ; ils remontent parfois bien des siècles avant notre ère. Somme toute, les textes gaulois ne sont pas trop nombreux, ils sont majoritairement courts, leur interprétation est parfois très difficile. Cependant, et même s’ils sont écrits sous l’Empire, ils attestent d’une façon certaine les noms celtiques de bien des dieux et déesses[4] :

Voici, en somme, les jalons d’un « panthéon » (qu’il faut avouer incomplet, tiré de sources disparates et compris en grande partie de dieux un peu mal connus), quelques précédents à adapter en matière rituelle (et telles adaptations ne sont pas mineures), des orientations générales sur des études académiques ou philosophiques à suivre, et une certaine esthétique visuelle.

Évaluation

Qu’est-ce qu’il faudrait donc omettre de ce tableau purement « celtique » ? D’abord, les couples divins comme Mercure et Rosmerta, Apollon Grannus et Ðirona, Mars et Litavis, Mars Loucetius et Nemetona, Lénus Mars et Ancamna, Apollon Borvon et Damona... tous absents des textes en gaulois. Les colonnes de Jupiter à l’anguipède, comme on a noté ci-dessus. Tout ce qu’on sait de la mythologie et de la philosophie que les Gaulois·es auraient reçues du monde méditerranée (par exemple des mythes de fondation liant des villes gauloises à Hercule, le platonisme qui connaissait une certaine vogue en Gaule, etc.). Les temples de type gallo-romain, soit d’un plan régulier et entourés d’une galerie. La fête fédérale des Gaules le 1er août à Condate, dédiée à Rome et à Auguste. Un nombre énorme de dieux et de déesses aux noms celtiques qui ne sont honorés qu’en latin (souvent par des citoyens romains de haut rang). Un autre élément de l’esthétique gaulois, à savoir le goût pour des décorations schématisées comme les signes de la zodiaque, les jours de la semaine (qui sont aussi les sept planètes et donc des divinités), les quatre saisons, les neuf Muses. Le culte des génies. Bien entendu, une pratique religieuse ancrée dans la période gallo-romaine n’a plus vraiment de place pour les druides proprement dit. Mais on a à cette époque d’autres philosophes, ceux dont les doctrines sont beaucoup mieux connues...

Ma conclusion est qu’on perd beaucoup en laissant tomber le dernier élément de « gallo-romain ». Accepter l’héritage romain, c’est élargir énormément la base de données pour notre reconstruction religieuse. En même temps, ça nous permet de rapprocher les pratiques authentiques de nos devanciers et devanières. Néanmoins, je sais bien que privilégier l’héritage strictement celtique, c’est un désir chéri chez beaucoup de personnes ; je n’entends pas les décourager excessivement.


Notes

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
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DEO · MERCVRIO · CETERISQ · DIIS · DEABVSQ · IMMORTALIBVS · VIDVCVS · BRIGANTICI · F · ANNO · POST · R · C · MMDCCLXV · V · S · L · M

Viducus Brigantici filius dédie ceci au dieu Mercure et aux autres dieux et déesses immortelles en l’an après la fondation de Rome 2765 (soit 2012 de l’ère commune). Mise à jour en 2020.