FÊTES ET CALENDRIERS EN GAULE

Calendrier celtique · Calendrier romain (observations mensuelles · fêtes à Rome · dates importantes en Gaule)

Une des fonctions de la religion est de structurer la vie mortelle selon des signes de route spirituels. Le temps est une des dimensions fondamentales d’une telle structure. Nous connaissons deux calendriers utilisés en Gaule à des fins religieuses : le calendrier celtique de Coligny, témoin d’une base de savoirs astronomiques importante ; et le calendrier romain, qui reste mutatis mutandis celui que nous utilisons toujours. Ici on présente le dossier du calendrier de Coligny, sans prétendre en élucider tous les mystères. On examine également les spécificités du calendrier romain dans l’Antiquité, et surtout dans son utilisation en Gaule.

Le calendrier de Coligny

Une avalanche de documents au sujet de la Gaule s’est détruite au fil des années, comprenant des œuvres de littérature, de philosophie, de rhétorique, d’histoire et d’ethnographie. On sait qu’elles existaient, mais rien n’en reste plus. On est donc d’autant plus heureux de posséder un calendrier celtique, vrai et authentique. Découvert à Coligny chez les Séquanes, le calendrier a été rédigé en langue gauloise, probablement au lendemain de la Conquête. Il s’agit d’un calendrier luni-solaire à douze mois (mais à treize en cas d’intercalation). Le rythme des intercalations suit un cycle de cinq années. Un mot de Pline nous assure que les Celtes avaient en outre des « siècles » de trente années, et donc de six itérations de ces cycles quinquennaux.[1] Voilà un calendrier dont la complexité atteste de la sophistication mathématique et astronomique des Gaulois.[2]

Cependant, l’utilisation du calendrier de Coligny nous pose bien des problèmes. Le premier est qu’on ignore la date, et même la saison, où l’année gauloise commence. Des théories rivales existent sur ce sujet, des érudits capables et intelligents sont arrivés à des conclusions contraires. Si nous suivons alors ces rythmes de cinq et de trente ans... où mettrons-nous son début ?

D’autres difficultés résultent de l’état fragmentaire du calendrier existant. Il y a des mois dont on ignore les noms (des mois intercalaires), des subtilités du cycle quinquennal qui nous échappent. Si, par exemple, l’intercalation suit précisément le modèle des années attestées, le cycle va excéder son quota astronomique. Il serait possible de le rectifier par la soustraction de jours ou de mois intercalaires... mais voilà que le calendrier fait ajouter des jours inattendus. Deux érudits, Garrett Olmsted et Joseph Monard, prétendent en comprendre le mécanisme, mais leurs explications ne coïncident pas. Un troisième, Paul Verdier, croit que le mécanisme n’existait pas et que le calendrier continuait à diverger de l’année solaire pendant des millénaires.[3]

L’insuffisance de notre connaissance de la langue gauloise rend difficile l’interprétation des abréviations et des allusions qui nous échappent. Par exemple, on trouve sur le calendrier de Coligny la notation IVOS à plusieurs reprises. Que signifie-t-elle? Olmsted affirme qu’il s’agit d’une fête, Pierre-Yves Lambert suggère que c’est une référence à l’if.[4] La question n’est pas anodine si nous voulons observer les fêtes des Gaulois. D’autres problèmes sont plutôt culturels. Chaque mois est désigné soit comme MAT, soit comme ANM. On a interprété ces abréviations comme matu- « faste » et anmatu- « néfaste ». Et après ? Est-ce qu’on doit pendant tout un mois s’abstenir... de quoi ? De faire des nouvelles entreprises, de manger certains plats (lesquels ?), de faire l’amour ? On ne sait pas. Et alors ? Comment mettre de côté la notation ANM, si l’on prétend suivre le calendrier de Coligny ? Mais comment l’observer si on ne la comprend pas ?

La table qui suit présente les noms des mois, le nombre des journées qu’ils contiennent et leurs désignations comme MAT ou ANM. La traduction des noms des mois résume, d’une façon plus ou moins prudente, X. Delamarre.[5] Le signe du zodiaque correspondant suit le schéma de J. Monard ;[5 bis] j’y ajoute un point d’interrogation pour souligner la manque de consensus sur ses datations.

1 Samonios 30 MAT mois [de la fin?] d’été Scorpion?
2 Dumanios 29 ANM mois des fumigations? Sagittaire?
3 Riuros 30 MAT mois du gel? mois gras? Capricorne?
4 Anagantio- 29 ANM mois où l’on ne voyage pas (mois d’ablutions rituelles?) Verseau?
5 Ogronios 30 MAT mois froid Poissons?
6 Qutios 30 MAT mois des invocations? Bélier?
  [Ciallos] 30 MAT autre mois? (intercalaire)
7 Giamonios 29 ANM mois [de la fin?] d’hiver Taureau?
8 Simiuisonna 30 MAT mois au milieu du printemps? Gémeaux?
9 Equos 30 ANM mois du cheval? Cancer?
10 Elembiu(os) 29 ANM mois du cerf Lion?
11 Aedrini(o)s 30 MAT mois estival? Vierge?
12 Cantlos 29 ANM mois des chants? Balance?
  [Quimon(?)] 30 MAT   (intercalaire)

Si le mois de Samonios correspond au Samain irlandais — comme c’est bien possible, selon l’évidence linguistique — on s’attendrait à ce que d’autres noms des mois correspondent aux autres grandes fêtes irlandaises. Donc, Anagantios devrait correspondre à Imbolc, Giamonios à Beltaine, et Elembiu à Lugnasad. C’est une hypothèse ; pourtant, les noms des autres mois ne rappellent pas ceux des fêtes irlandaises.

D’autres hypothèses veulent que Samonios commence vers le solstice d’été, au début d’été en mai, etc.

Le calendrier julien

Au contraire de celui de Coligny, on comprend bien le fonctionnement du calendrier mis en règle par le divin Jules. Les fêtes, le symbolisme de l’année sont assez bien documentés chez des écrivains comme Censorinus (auteur d’un traité astrologique) ou Ovide (dont le poème monumental Fasti, à moitié finie, traite des mois et des jours du calendrier). On connaît aussi de vrais Fasti, c’est-à-dire des calendriers publiques, aussi bien comme les actes des Frères Arvales. Ces évidences-ci sont essentiellement italiennes, mais des aspects du calendrier romain sont certainement suivis en Gaule. D’ailleurs, il y a quelques spécificités régionales en Gaule qui peuvent nous intéresser.

Les adorateurs modernes des dieux de l’Antiquité peuvent choisir de suivre le calendrier julien inchangé, comme le font certaines églises chrétiennes orthodoxes et des communautés berbères, ou bien d’accepter les améliorations universalisées par le calendrier grégorien/calendrier julien rectifié.

Rythme du mois et de l’année

Chaque mois commence par un jour dénommé les kalendes : donc, les kalendes de juillet sont le 1er juillet. Un certain nombre de jours après (quatre ou six selon le mois) interviennent les nones, puis huit jours après, les ides. Ces jours à part, chaque date est computée par le nombre de jours avant les kalendes, les nones ou les ides à venir : donc, le surlendemain des nones s’appelle le septième jour avant les ides, abrégé en a. d. VII Id. Nous dirions plutôt le sixième jour avant les ides, mais les Romains comptaient inclusivement (d’où l’habitude d’appeler une semaine « les huit jours »). Les kalendes, les nones et les ides sont toutes des fêtes observées par des dévotions domestiques. Les kalendes sont sacrées à Junon, les ides à Jupiter.

À l’évidence d’un calendrier fragmentaire découvert à Grand, les Gaulois y ont ajouté une quatrième journée sacrée, le a. d. VIII Kal. de chaque mois (huitième jour avant les kalendes), qui se trouvent approximativement au milieu des ides et des kalendes suivantes.[6] Les ides découpe le mois en deux, les nones font de même pour la première moitié, puis on s’attend à cet autre jour spéciale pour achever le découpage en quatre. Ce serait donc à peu près une fois par semaine qu’on fait une observation spéciale devant l’autel domestique (à condition que les Gaulois observent ces jours comme le faisaient les Romains, ce que je trouve très probable).

  IAN FEB MAR APR
Kal. 1 1 1 1
Non. 5 5 7 5
Id. 13 13 15 13
a. d. VIII Kal. 25 22 25 24
Nombre de jours 31 28 (29)* 31 30
Les mois suivant ce modèle janvier, août, décembre février mars, mai, juillet, octobre avril, juin, septembre, novembre
* Février a 29 jours lors des années bissextiles, depuis la réforme du divin Jules. Le jour bissextile s’appelle ante diem bis VI Kal. Mar. (bis-sixième jour avant les kalendes de Mars). Il s’insère, selon Censorinus, avant le 6e jour avant les kalendes de mars. Celsus le considère cependant comme la moitié d’un seul jour de 48 heures (la moitié postérieure, à propos). Dans tous les cas, son emplacement n’affecte pas ceux des kalendes, des nones, des ides, ni du 8e jour avant les kalendes suivantes.

Le 8e jour avant les kalendes était également celui où l’on observait les équinoxes et les solstices (comme l’atteste la notation Aequinoct. VIII K. Oct., « équinoxe le 8e jour avant les kalendes d’octobre », sur le calendrier de Grand).[6] On a donc observé l’équinoxe de printemps le 25 mars, le solstice d’été le 24 juin, l’équinoxe d’automne le 24 septembre, et le solstice d’hiver le 25 décembre. D’autres traditions romaines et postérieures confirment l’importance de ces dates-là (il s’agit de la Saint-Hubert, la Saint-Jean-Baptiste, Noël/fête du Soleil Invaincu, etc.). Un autre calendrier contemporain, trouvé dans le Rhin, souligne également l’importance de ces évènements astronomiques. Outre les kalendes, les nones, et les ides (qui sont, pour ainsi dire, obligatoires), les seules dates qui y sont notées sont... les solstices et équinoxes.[7]

Tout les huit jours se déroulait à Rome un jour de marché, la nundina (soit la « neuvième jour », si l’on compte inclusivement). Pour tenir compte de ce cycle, chaque jour se désignait par une lettre (du A au H, puis de nouveau au A). Tout le long de l’année, la nundina s’observait le jour de la même lettre, bien que celle-ci puisse changer d’une année à l’autre. La lettre de chaque jour s’indique sur les fasti italiens (mais pas sur les quelques calendriers gaulois qui nous restent...).

La semaine à sept jours — un héritage mésopotamien — entre en vogue vers le IIe ou IIIe siècle et finit par remplacer le cycle des nundinae. Il est certain que les Gaulois ont adopté le schéma hebdomadaire selon lequel chaque jour est dédié à une des sept divinités planétaires (Déesse Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, Dieu Soleil). Certain, car leurs noms se préservent dans le nomenclature français des cinq premiers jours de la semaine (lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi). D’ailleurs, l’esprit gallo-romain s’attachait beaucoup aux ensembles énumérés. Les sept planètes, les quatre saisons, les neuf Muses, etc., sont motifs des plus communs dans l’art décoratif en Gaule. Les tambours octagonaux des colonnes de Jupiter se consacrent normalement aux sept dieux planétaires. Voilà qui favorise l’adoptation du schéma hebdomadaire. (C’est peut-être ce même esthétique schématisateur qui amène à l’ajout d’un quatrième jour principal du mois, le 8e avant les kalendes, si mon interprétation du calendrier de Grand est bonne.)

Quant aux célèbres fêtes irlandaises de Samain, Imbolc, Beltaine et Lugnasad, elles n’ont pas laissé de traces dans le calendrier julien utilisé en Gaule (mais voir supra pour les théories concernant Samonios dans le calendrier de Coligny). Cependant, elles coïncident à peu près aux kalendes de novembre, de février, de mai et d’août.

Fêtes importantes à Rome et en Italie

Notons qu’à Rome même, on célébrait la fête d’Epona (déesse gauloise) le 18 décembre (15e jour avant les calendes de janvier).[8] Epona a la singularité d’être la seule divinité celtique à recevoir un culte officiel à Rome.

Voilà des fêtes principales dans Rome. En région, on n’a pas suivi ce cycle d’une façon servile, même en Italie. On sait qu’en Grèce et en Orient on a conservé d’anciens usages (tel-ou-tel jour étant sacré à Adonis ici, à Sérapis là, etc.). Les Gaulois ont pu adopter les fêtes des Romains (on sait qu’ils observent les kalendes, les nones et les ides, par exemple) ; Macrobe met en scène des Gaulois, comme Symmaque, capables d’expliquer au fond les origines et la signification des Saturnales. Pourtant, d’autres évidences plaident en faveur de la maintenance des traditions indigènes. On a conservé le calendrier de Coligny, qu’on affichait publiquement pendant la période romaine. Les inscriptions témoignent d’au moins une fête d’origine celtique — les « dix nuits de Grannus » (decamnoctiacís Granní) à Limoges. Les quelques dates mentionnées sur les ex-votos ne coïncident pas forcément avec les fêtes officielles de Rome. Il faut donc investiguer les dates clés du calendrier romain tel qu’on l’observait en Gaule.

Dates d’importance religieuse en Gaule

On connaît quelques dates de poids pour la religion en Gaule. La plus importante est sans doute le 1er août, fête fédérale des Trois Gaules.

Au total, je ne trouve que 137 inscriptions de caractère religieux qui font mention d’une date. En effet, l’habitude de dater les ex-votos ne s’est guère formée avant la règne de Marc-Aurèle et ne devient fréquente que sous les Sévères. La date de dédier un autel ou une offrande quelconque peut être significative ; elle peut ne pas l’être. La première hypothèse est renforcée dans la mesure où l’on y discerne un schéma. Je souligne que, grâce à leur époque tardive, ces inscriptions-ci ne peuvent pas nous informer directement de la situation sous Trajan, sous Claude, sous Jules César.

Conclusions

Les Gaulois n’ont pas adopté tout ce qui appartenait au conquérant, et les choses qu’ils ont adoptées, ils les ont souvent adaptées. Nous savons qu’on suivait en Gaule d’importants éléments du calendrier romain comme les mois et le cycle de kalendes, de nones et d’ides. Un goût pour la schématisation me semble avoir mené les Gaulois d’y ajouter un quatrième jour principal, le VIII K. (ante diem 8 kalendas) comme ils ont adopté plus tard la semaine à sept planètes tutélaires. Les fêtes observées en Gaule ont pu ressembler à celles de Rome, avec d’importants changements et ajouts. Inversement, la déesse celtique Épona fait son entrée à Rome avec une fête le 18 décembre.

En même temps, on a continué d’utiliser au moins un calendrier celtique, celui de Coligny, en vigueur chez les Séquanes. On découvre autre part les traces d’autres observations celtiques durant la période romaine, comme à Limoges. Les modalités du déroulement du calendrier de Coligny ne sont guère certaines ; il atteste pourtant que le génie gaulois a perduré au fur de la romanisation.


Notes

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Deutsch (Goethe)
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