LENO MARTI : à LÉNUS MARS

Diversité régionale · Chez les Trévires (Lénus, Jovantucarus, Loucetius, Intarabus, autres)

« Mars régit la guerre ; c’est à lui, quand ils ont résolu de combattre, qu’ils font vœu d’ordinaire de consacrer les dépouilles de l’ennemi. Ils lui sacrifient ce qui leur reste du bétail qu’ils ont pris, le surplus du butin est placé dans un dépôt public ; et on peut voir, en beaucoup de villes de ces monceaux de dépouilles, entassées en des lieux consacrés. Il n’arrive guère, qu’au mépris de la religion, un Gaulois ose s’approprier clandestinement ce qu’il a pris à la guerre, ou ravir quelque chose de ces dépôts. Le plus cruel supplice et la torture sont réservés pour ce larcin. »
       — Jules César (résumant Posidonius)C. Iulius Caesar (résumant Posidonius), De Bello gallico vi:17. Traduit par Désiré Nisard (1865). J’ai modifié la phraséologie de Nisard au début du passage.
Bronze de Mars terrassant un ennemi
Mars armé terrassant un ennemi : statuette en bronze du territoire des Rèmes
(Musée Saint-Remi, Reims)

Dieu belliqueux par excellence, Mars se présente en fait sous plusieurs faces. Patron bien entendu des combats sanguinaires, il a également la faculté d’assainir les malades. Comme Silvain, il s’engage à protéger les champs. Mars incarne souvent la chose publique au niveau de la cité (c’est-à-dire de la nation ou tribu romanisée). Ce fils de Jupiter et Junon est père de Romulus et chéri des soldats servant Rome. En même temps, il est connu sous plus de surnoms celtiques que n’importe quelle autre divinité.Nicole Jufer et Thierry Lüginbuhl (2001). Les dieux gaulois : répertoire des noms de divinités celtiques connus par l’épigraphie, les textes antiques et la toponymie. Errance.

Une seule fondation soutient tous ces éléments apparemment disparates, et elle n’est pas la guerre, malgré le mot de Posidonius au sujet.Posidonius faisait ses recherches lors des contestations entre Éduens, Arvernes et Séquanes et peu après l’incursion sanguinaire des Teutons et Cimbres ; sa perspective, ou celle de ses informateurs, était sans doute influencée par leur préoccupation avec telles violences. Voir Jean-Louis Brunaux. « Religion et sanctuaires » in Christian Goudineau (éd., 2006). Religion et société en Gaule. Errance, p. 114. Non, c’est plutôt la fonction de protéger qui fait l’unité du Mars gallo-romain. Il protègent les soldats qui s’engagent dans la guerre. Il protège les malades contre leurs afflictions. Il protège les champs, les biens, l’intégrité de la nation. Si, pour protéger, il faut combattre, Mars y est prêt ; mais ce n’est pas là sa priorité. (Voilà un point de fort contraste avec l’Arès grec, celui à qui les autres Olympiens reprochent de semer la violence pêle-mêle.)

Ce dieu protecteur de la nation est lié, tout naturellement, aux spécificités nationales. Le Mars des Séquanes n’est pas forcément celui des Bellovaques. La profusion de surnoms et épithètes en est une conséquence peu surprenante. On conjecture — non sans fondement — que Mars recouvre la fonction du Toutatis (orthographié « Teutatès » chez Lucain), c’est-à-dire le dieu protecteur de la nation (la *toutā, même racine que tuath « tribu » en irlandais) ... ou bien des toutates, chaque nation en possédant le sien.Paul-Marie Duval (1993). Les dieux de la Gaule. Éditions Payot.

Les Mars gaulois se trouvent souvent en compagnie de parèdres aux noms divers : on a Lénus Mars et Ancamna chez les Trévires, Mars Loucetius et Nemetona à Mayence, Mars Cicolluis et Litavis... Dans les milieux plus romanisés, Mars n’est pas sans parèdre, bien qu’elle s’y appelle plutôt Victoire ou parfois Bellone. Il est relativement rare que Mars apparaisse à côté de Vénus, son amante divine dans la mythologie grecque et romaine.

La représentation de Mars suit le plus souvent les normes gréco-romains. Il porte un casque corinthien à la crête gigantesque et de l’armure. Il peut tenir une lance, une glaive, un bouclier. Cependant, des variations existent. Mars est quelquefois nu et, surtout dans les représentations de haute date, quelquefois barbu. Parmi les animaux qui lui sont sacrés sont le loup et le pivert. On lui sacrifiait, outre ces animaux, des chevaux.

Les Mars en région

Relief de Mars
Relief de Mars, casqué et armé d’une lance, du territoire des Médiomatriques
(Musées de la Cour d’Or, Metz)

Dans certaines régions, les inscriptions à Mars arrivent à excéder celles à Mercure. C’est le cas par exemple en Gaule narbonnaise et en Bretagne.

La liste ci-dessous énumère les épithètes indigènes de Mars connues en Gaule, suivis du nom de la nation chez qui l’inscription a été laissée et la quantité d’inscriptions qui l’invoquent.Nicole Jufer et Thierry Lüginbuhl (2001), op. cit.

  • Mars Albarinus : Memini 1
  • (Mars) Albiorigius : Caturiges 4 ; Mars Albiorix : Voconces 1 ; Mars Albioricus : Vulgientes 1
  • Mars Allema[...] : Sénons 1
  • *Mars Arixo : Convènes 3
  • Mars Armogius : limes germanique 1
  • Mars Belado : Salyens 1, Voconces 1
  • Mars Britouius : Arécomiques 2
  • Mars Bruatus : Cavares 1
  • Mars Budenicus : Salyens 1
  • Mars Buxenus : Cavares 1
  • Mars Caisiuus : Helvétiens 1
  • Mars Camulorix : Leuques 1
  • Mars Camulus : Cavares 1, Cugernes 1, Ménapiens 1, Rèmes 1, Trévires 1, limes germanique 1, inconnu 1
  • Mars Carrus Cicinus : Voconces 1
  • Mars Caturix : Helvètes 5, limes germanique 1
  • Mars Cemenelus : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Cicolluis : Lingons 6, Mandubiens 1, Cugernes 1
  • Mars Cnabetius : Médiomatriques 2, champs décumates 2, limes germanique 1, Trévires 1
  • Mars Cososus : Bituriges Cubes 1
  • *Mars Dahus : Convènes 1
  • Mars Dinomogetimarus : Arécomiques 1
  • Mars Divanno : Arécomiques 1, Vulgientes 1
  • Mars Dunatis 1, Mars Boluinnus Dunatis 1, Dunatis 1 : Sénons
  • Mars Exalbiouix : limes germanique 1
  • *Mars Friausius : Bataves 1
  • *(Mars) Halamardus : Bétasiens 1, Ubiens 1
  • (Mars) Intarabus : Trévires 7, Tongres 2
  • Mars Iouantucarus : Trévires 6
  • Mars Lacauus : Arécomiques 1
  • *Mars Leherennus : Convènes 20
  • *Mars Lelhunnus : Tarbelles 4
  • Lénus Mars : Trévires 12, Médiomatriques 1, Ubiens 1
  • Mars Leucimalacus : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Leusdrinus : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Loucetius : Vangions 6, Andécaves 1, champs décumates 1, limes germanique 1, Mattiaques 1, Triboques 1
  • Mars Magianus : Rauraques 1
  • Mars Masuciacus : Voconces 2
  • Mars Melouius : Arécomiques 1
  • Mars Metorius : Arécomiques 1
  • Mars Mogetius : Bituriges Cubes 1
  • Mars Motm[...] : Véragriens 1
  • Mars Mullon : Riédons 5, Namnètes 2, Andécaves 1, Cénomanes 1
  • Mars Nabelcus : Memini 2, Voconces 1
  • Mars Noadatus : limes germanique 1
  • Mars Randosatis : Arvernes 1
  • Mars Rigisamus : Bituriges Cubes 1
  • Mars Rudianus : Allobroges 1, Voconces 1
  • Mars Sabelcus : Memini 1
  • Mars Segomon : Éduens 2, Ambarres 1, Ségusiaves 1, Séquanes 1 ; Segomo Cuntinus : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Smertrius : Vangions 1
  • Mars Smertulitanus : Trévires 1
  • *Mars Sutuigus : Convènes 4
  • Mars Tritullus : Gabales 1
  • Mars Vegnius : Trévires 1
  • Mars Veracinius : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Vicinnus : Riédons 1
  • Mars Vintius : Alpes-Maritimes 1
  • Mars Visontius : Séquanes 1
  • Mars Volmio : Tongres 1
  • Mars Vorocius : Arvernes 1

L’astérisque (*) désigne un nom clairement non celtique, ou trouvé en dehors des régions de langue gauloise (soit en Aquitaine soit en Germanie). Les Mars les plus importants de ce genre sont Mars Leherennus et Mars Sutuigus, les deux honorés chez les Convènes près des Pyrénées.

Il y a une concentration de théonymes dans la Gaule belgique et la portion adjacente de la Germanie supérieure (due en partie à une habitude épigraphique plus prononcée dans ces régions-là). Dans la section sur les Trévires ci-dessous, nous traiterons en plus de détail des cas de Lénus Mars, Intarabus, Mars Loucetius, Mars Camulus, Mars Cicolluis et Mars Cnabetius. En attendant, il faut ajouter un mot sur les autres formes de Mars les plus importants.

On connaît Mars Mullon par un nombre non négligeable d’inscriptions dans le nord-ouest de la Gaule — précisément la région où les inscriptions sont les plus rares. Mars Mullon a en effet un statut extraordinaire. On l’a considéré comme le protecteur divin de plusieurs nations et pays armoricains, notamment chez les Riédons (Rennes).

Mars Albiorigius se trouve dans les régions alpines de Provence et de Dauphiné. Sur surnom se comprend en gaulois comme « du roi blanc ». Est-ce à mettre en rapport avec les neigeuses montagnes de la région ? Même le mot « Alpes » tiendrait son origine de la même racine celtique...Xavier Delamarre (2003). Dictionnaire de la langue gauloise. Errance, pp. 37-38, 259-260.

Mars « Caturix » est également facile à interpréter : le surnom veut dire tout simplement « roi des batailles » (étant donné que rīx en gaulois a un sens étendu, on le traduirait plus prudemment comme « chef des batailles »). Mars Caturix se trouve essentiellement en pays helvète.

L’épithète de Mars Ségomon a été traduite comme « Victor »Delamarre (2003), op. cit., p. 268. — une connexion très logique. Cela dit, il est même curieux qu’on ne retrouve Mars Ségomon que dans une zone limitée : Bourgogne, Lyon, Franche-Comté. On n’utilise ce mot dans un contexte religieux qu’une autre fois ; c’est le cas d’une dédicace à Ségomon Cuntinus à Nice (l’inscription ne fait pas mention de Mars...).

Mars chez les Trévires

À la contraire de Mercure ou de Jupiter Optimus Maximus, Mars est invoqué le plus souvent sous un nom celtique chez les Trévires. Chose inouïe, c’est même le nom celtique Lénus qui précède le romain dans la majorité des cas. On a traduit ce nom comme « bois, bocage »,Delamarre (2003), op. cit., p. 435. peut-être à mettre en rapport avec la forêt d’Ardenne, cette « forêt immense, comme le dit César, qui traverse le territoire des Trévires, et s'étend depuis le fleuve du Rhin jusqu’au pays des Rèmes » où le chef Indutiomarus pouvait cacher « tous ceux que leur âge met hors d’état de porter les armes ».C. Iulius Caesar, DBG v:3. Élément capital de la topographie trévire, point défensif par excellence, l’Ardenne serait bien digne de donner son identité au Mars trévire comme elle le fait déjà à la déesse Arduenna et peut-être au dieu Intarabus (dieu d’entre Meuse et Rhin)...

Tous les épithètes celtiques les plus répandus de la Gaule belgique sont attestés aussi en territoire trévire (Cicolluis, Camulus, Loucetius, Cnabetius). En partie, cela doit être dû à l’importance commercial, démographique et culturel de la ville d’Augusta Trevirorum (l’actuelle Trèves), qui a donc accueilli beaucoup d’habitants venus d’autres cités. Il peut aussi résulter d’un patrimoine belge commun. À ces formes de Mars typiques de la région, il faut ajouter plusieurs qui sont propres à cette nation : Mars Jovantucarus, protecteur des jeunes ; Mars Smertulitanus, le pourvoyeur ; et Mars Vegnius. C’est une remarquable diversité apparente dans une seule cité. Pour ses adorateurs, alors, y a-t-il un Mars trévire, ou plusieurs ? Comme on le verra plus loin, il y a raison de penser que certains surnoms ne font référence qu’au principal (Lénus) Mars. D’autres ont une identité bien indépendante.

Temple du Martberg
Reconstruction de l’intérieur du temple de Mars Lénus au Martberg à Pommern an der Mosel
(modification d’une photographie de D. Herdemerten, CC-BY-SA)

Lénus Mars

Lénus Mars est, croit-on, le dieu patron de la nation trévire. À lui est également attribué une source située dans les collines en face de Trèves et qui a la réputation de pouvoir guérir des maladies. Le temple classique érigé sur le site (appelé Am Irminenwingert) était de taille et situation imposantes.Edith Wightman (1970). Roman Trier and the Treveri. Rupert-Hart-Davis Ltd, pp. 211–214, 220. Un autre sanctuaire se trouvait au Martberg (« colline de Mars ») en aval de la Moselle, où un autel est dédié « in h. d. d. deo Marti Laeno ».Année Épigraphique (AE) 1981 : 676. Ici encore, l’élément curatif est dominant, ce qui n’empêche pas que l’image de Mars soit en guerrier nu et casqué. Mars assainit les gens en combattant contre leurs maladies. En récompense de son œuvre guérissante, Lénus Mars reçoit comme offrandes des autels, des statuettes et des pièces. Au sanctuaire Am Irminenwingert, beaucoup de ces statuettes représentent des genii cucullati, génies en forme de nains vêtus de capuchons.Edith Wightman (1970), op. cit., pp. 211–214, 220.

La parèdre de Lénus Mars est une déesse appelée Ancamna (ils sont invoqués ensemble deux fois sous ces noms). Deux autres inscriptions invoquent Mars et Ancamna, sans le nom Lénus, mais on peut entendre que le dieu concerné soit le même. Il serait un peu bizarre, en effet, si deux divinités gauloises distinctes prenaient le même nom romain et la même compagne gauloise sans se confondre. Dans le sanctuaire près de Möhn, on trouve l’inscription Marti Sme[rtuli]t[a]no et [Anc]amnae.Corpus Inscriptionum Latinarum (CIL) xiii : 4119. Si la restitution est bonne, cette inscription fournit de l’évidence pour une identification de Mars Smertulitanus et Mars Lénus — à savoir, Ancamna encore. On peut à ce titre compter Smertulitanus comme un surnom du (Lénus) Mars que nous connaissons, de même que Exsobinius(?) et Arterancus(?) qui apparaissent sur des inscriptions, dédiées Leno Marti Exsobin à Saint-MardCIL xiii : 3970. et [In h. d.] d. Leno Marii Arte/[...]co à Fließem.CIL xiii : 4137. Après tout, les Grecs et les Romains eux aussi utilisaient une multiplicité d’épithètes pour les mêmes dieux : Apollon est Phébus, Diane est Phèbe, Minerve est Pallas, Mercure est Argiphontes, et ce sans compter les patronymes ou les épithètes géographiques. Quelle, alors, était la nature de la liaison entre Lénus Mars et Ancamna ? On imagine normalement qu’Ancamna fût l’épouse locale de Lénus Mars. Elle n’en a pas pu être la mère, car Junon a une large place chez les Trévires et on ne l’a jamais traitée pareillement à Ancamna.

Une variation intéressante se présente par deux inscriptions qui invoquent Lénus Mars et Victoire, et puis Mars et Victoire. Certains faits nous semblent acquis par ces identifications intéressantes : la compagne divine de (Lénus) Mars s’appelait le plus souvent Ancamna, mais parfois on a romanisé son nom en Victoire.

Je suggère encore une autre identité pour ce même couple : Veraudunus et Inciona. En effet, une inscription luxembourgeoise fait mention de [Le]no Mar[ti. ...] Veraudune[......]IncioneInstitut Archéologique du Luxembourg (IAL) 136.  ; une autre invoque in h. d. d. deo Verauduno et Incionae.IAL 135. Si on accepte cette identification (qui dépend de la bonne restitution de la première inscription mentionnée), il s’agirait d’une forme très locale du grand couple trévire. L’épithète peut être purement géographique, car la colline adjacente — le Widdebierg — tirerait son nom de la même racine (comme peut-être Virton et Verdun aussi...).Edith Wightman (1970), op. cit., pp. 211–214, 220.

Jovantucarus, soignant des jeunes

Dans les 5 inscriptions qui en font mention, Mars Jovantucarus est toujours invoqué seul. Pourtant, l’un des contextes de ces invocations, c’est le sanctuaire de Lénus Mars. En raison de son surnom (« soignant des jeunes ») et des ex-votos, on a suggéré que Mars Jovantucarus ait eu un gardien des jeunes, invoqué pour la guérison des maladies infantiles. Ce Jovantucarus a dû être au moins un peu autonome par rapport à (Lénus) Mars, car on le lie une fois au dieu Mercure et non pas à Mars. Les statuettes votives dédiées à Mars Jovantucarus incluent les enfants qui apportent des colombes.Wightman (op. cit.), p. 213.

Les derniers membres de l’entourage de Lénus Mars étaient les Xulsigiae. Ce sont des déesses ; elles sont impliquées dans la guérison à la source de Lénus Mars. La seule inscriptionAE 1924 : 16. qu’on possède ne nous permet pas d’en dire plus. Peut-être sont-elles des nymphes locales. (La prononciation et l’étymologie de leur nom sont obscures ; il s’agit du seul x- initial connu en gaulois.)

Mars (Loucetius) et Nemetona

Nous passons alors à Mars Loucetius, connu par trois inscriptions trévires — dont deux sont laissées hors le territoire national par des Trévires expatriés. L’une invoque Loucetius Mars et Nemetona, une autre Mars Loucetius et Victoire, une troisième (à Trèves) Mars et Nemetona. Edith Wightman observe que Mars Loucetius et Nemetona « ressemblent de près, s’ils ne sont pas identiques à, Lénus et Ancamna ».Dans la version originelle, « are closely similar to if not identical with, Lenus and Ancamna ». Wightman (1970), op. cit., p. 219. Du moins, on a pu identifier et Nemetona et Ancamna à Victoire.

Pourtant, on hésiterait d’assimiler Mars Loucetius à Lénus Mars, Nemetona à Ancamna. Pourquoi ne voit-on pas de lien direct entre Lénus Mars et Nemetona ou entre Mars Loucetius à Ancamna, si ces noms ne soient que des variantes libres ? Il faut rappeler que le culte de Mars Loucetius est très largement ancré chez les Vangions et Némètes (proches voisins des Trévires, d’ailleurs), et que ce Mars avait comme Lénus une parèdre spéciale. Le culte de Mars Loucetius et Nemetona, bien que pratiqué chez les Trévires, a toujours gardé le caractère spécifique de sa provenance rhénane. De vrais Trévires allaient volontiers adopter les cultes de Mithras, de Cybèle, de Jésus-Christ, tous très éloignés en origine. Non moins ont-ils dû accueillir un culte venu de chez leurs voisins.

Bronze d'Intarabus
Statuette d’Intarabus à la peau de loup, trouvé à Bastogne-Noville chez les Tongres
(Musée archéologique luxembourgeoise, Arlon)

Intarabus

Un autre aspect de Mars est représenté par le dieu Intarabus, invoqué le plus souvent sous ce seul nom. Une seule inscription l’identifie comme « le dieu Mars Intarabus ».CIL xiii : 3653. Intarabus n’apparaît jamais en compagnie d’une parèdre, mais il est souvent invoqué en conjonction avec la maison ou numina des Auguste. Son iconographie nous est connue par une statuette de Bastogne. Vêtu d’une peau de loup, Intarabus ressemble plutôt à Silvain qu’au Mars classique. Tout ça suggère qu’Intarabus appartient à l’intersection des Silvain et Mars italiens : les deux étaient protecteurs des champs, gardiens des frontières. C’est dans cette capacité que Caton a même invoqué « Mars Silvain ».Caton l’Ancien, De re rusticâ 83. En tout cas, il semble qu’ici on a affaire à un dieu dont l’identité indépendante est claire, et dont les associations avec Mars sont plutôt conjoncturelles.

Encore des Mars militaires ?

Lénus Mars peut apparaître en dieux guérisseur, Mars Mullon en gardien civique. D’autres visages de Mars sont plus explicitement belliqueux.

Le mot Camulus — aussi fréquent dans l’onomastie que dans la toponymie — est le mieux traduit comme « champion », selon X. Delamarre.Delamarre (2003), op. cit., p. 101. Mars Camulus semble ne pas avoir de parèdre. Pourtant, une inscription en Dalmatie dont le texte est malheureusement mutilé, peut invoquer Jupiter, Epona et Mars CamulusCIL iii : 8671. ; un autel dans la ville militarisée de Sarmizegetusa invoque ensemble Mithras, Mars Camulus, Mercure et Rosmerta ; le dédiant de ce dernier est un procurator augustorum (intendant de province).AE 1998 : 1100. Le haut profile du culte de Mars Camulus — déjà évident — est souligné par le fait qu’il est souvent invoqué avec les numina des Augustes et même spécifiquement pour le salut d’un César.CIL xiii : 8701. Auprès de ses adorateurs (et parmi eux, sans doute, des soldats romains d’origine gauloise), Mars Camulus n’est pas seulement un champion, mais le champion de l’Empire.

Une épithète non rare de Mars est Cnabetius (orthographié aussi Gnabetius, Cenabetius). Il est typique de la région rhénane, et voudrait dire « mutilé » — une évocation assez frappante du métier militaire.Dans la version originelle, « verstümmelt ». Universität Trier: Keltisch in Inschriften. Un relief des Champs décumates (l’actuel Bade-Wurttemberg) invoque le génie de Mars Cenab(etius) et représente ainsi un génie à des attributs typiques : corne d’abondance, patère, autel. Comme Mars Camulus, Mars Cnabetius semble ne pas avoir de parèdre. À l’exception d’une inscription qui l’invoque après l’honneur de la maison impériale et Jupiter,CIL xiii : 4258. il apparaît toujours seul.

Ancré dans les régions actuelles de Bourgogne et Franche-Comté, le culte de Mars Cicolluis « aux gros muscles »Delamarre (2003), op. cit., p. 115. se joint à celui de la déesse Litavis soit Bellona (déesse romaine de la guerre). L’association militaire est toujours claire.

Outre le fait qu’un pérégrin lui a fait une dédicace à Dalheim au Luxembourg,CIL xiii : 4049. rien n’est connu de Mars Vegnius.

Conclusions

Patron national, protecteur du territoire et guérisseur des maladies, Lénus Mars a un rang particulier dans le panthéon trévire. Son entourage comprend Ancamna/Victoire, les Xulsigiae, et la forme spécialiste de Mars Jovantucarus qui soigne les jeunes ; lui-même est doté de divers surnoms. L’importance de Lénus Mars n’empêche pas que les Trévires associent Mars au probable gardien terrestre Intarabus, ou qu’ils l’adorent sous des formes typiques des peuples voisins. L’une de celles-ci, Mars Loucetius et Nemetona, ressemble de près à Lénus Mars et Ancamna. Les autres privilégient essentiellement l’aspect de Mars comme combattant, qui est d’ailleurs au cœur de la fonction de Mars comme protecteur.


Références

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
Creative Commons License
DEO · MERCVRIO · CETERISQ · DIIS · DEABVSQ · IMMORTALIBVS · VIDVCVS · BRIGANTICI · F · ANNO · POST · R · C · MMDCCLXIV · V · S · L · M