MATRONIS AVFANIABVS:
aux MATRONES AUFANIES

par Viducus Brigantici filius, Cassanâ Suniciâ Sigroni et Āgiknos Ianaanākos
2021

Introduction · Inscriptions · Iconographie · Nom et étymologie · Date de fête · Conclusions

Matronae Aufaniae, Nettersheim
Une représentation des Matrones Aufanies de Nettersheim.
(Rheinisches Landesmuseum Bonn ; image dérivée d’une photographie par l’utilisateur Wikimedia User:Kleon3, CC BY-SA 4.0)

Introduction

Les Mères ou Matrones constituent une catégorie familière de déesses-mères connues principalement dans la Rhénanie, où une profusion de monuments antiques atteste de l’intensité de la dévotion populaire locale à leur égard. Mais les Matres et Matronæ sont connues partout en Gaule, en Grande-Bretagne et au-delà. Dans les inscriptions qui leur sont associées, elles sont fréquemment nommées avec une épithète distinctive, dont la référence peut être géographique ou autre. Par exemple, une inscription gallo-grecque de Nîmes dans le sud de la Gaule est dédiée ΜΑΤΡΕΒΟ ΝΑΜΑΥCΙΚΑΒΟ “aux Mères de Nemausus (Nîmes)”.

Cette page se concentre sur les Matrones Aufanies, également connue sous les noms de Déesses Aufanies, Mères Aufanies, ou simplement Aufanies. Les Aufanies sont parmi les Mères et les Matrones les plus attestées en Gaule romaine et en Germanie. Notre analyse se base en grande partie sur une inspection des inscriptions et de l’iconographie mentionnant les Aufanies dans l’Epigraphik Datenbank Clauss/Slaby ; par conséquent, nous citons les inscriptions par leurs numéros d’identification EDCS.

Les inscriptions

Plus de 80 inscriptions religieuses aux Aufanies sont connues. Leur plus grande concentration se trouve à Bonn, qui était autrefois la ville romano-germanique de Bonna, une ville de garnison sur le Rhin dans le territoire tribal des Ubiens. Les Ubiens, dont la principale ville est Cologne (Colonia Agrippinensis) en aval sur le Rhin, sont le peuple germanique de la Gaule romaine le plus distingué pour son dévouement aux Matres et Matrones de toutes sortes.

Au-delà de Bonn, on a trouvé des inscriptions aux Aufanies dans de nombreux autres sites, dont Cologne et ailleurs dans le territoire ubien, notamment Zülpich et le sanctuaire de Nettersheim à quelques 60 km à l’intérieur de Bonn ; Xanten et Nijmegen, également dans la région du Rhin inférieur ; Mayence sur le Rhin moyen ; Lyon ... et même Carmo dans le sud de l’Espagne non loin de Séville.

Le style d’adresse et les compagnons cultuels des déesses

Sur quelque 82 inscriptions environ au total, on appelle les déesses les « Matrones Aufanies » 49 fois ; simplement comme les « Aufanies » 19 fois ; comme les « déesses Aufanies » 5 fois. L’expression « Mères Aufanies » est utilisée rarement et, pour ainsi dire, avec hésitation : une inscription est même dédiée Matribus siue Matronis Aufaniabus domesticis « aux Mères soit aux Matrones Aufanies domestiques ».EDCS-11100246. C’est un exemple clair d’Aufanies domestiques, mais c’est pratiquement le seul ; une autre inscription associe les Aufanies aux Mères domestiques tout en les distinguant manifestement : Aufanis et Matribus Domesticis « aux Aufanies et aux Mères domestiques ».EDCS-11202307. De même, l’inscription à Lyon associe les Aufanies Matrones à un groupe de Mères tout en précisant que celles-ci sont distinctes ; il est dédié Aufanis Matronis et Matribus Pannoniorum et Dalmatarum “aux Aufanies Matrones et aux Mères des Pannoniens et Dalmatiens”.EDCS-10500719.

Une inscription est dédiée Aufanis Sanctis et une autre Sanctis Aufanis “aux saintes Aufanies”,EDCS-11202282, 11202284. tandis qu’on a lu une troisième comme [deabus Sanctis]simis Ma[tronis Aufanis] “aux très-saintes déesses, les Matrones Aufanies” ; cependant, le caractère fragmentaire de cette inscription incite à la prudence.EDCS-11100050.

L’une des inscriptions de Mayence est dédiée Deab Aufan et Tutelae loci “aux déesses Aufanies et à la tutèle (déesse patronne) du lieu”.EDCS-11000706.

Les dédicaces et leurs motivations

Les personnes possédant les moyens de dédier les autels ou d’autres monument religieux étaient nécessairement biaisés vers les couches supérieures de la société. Un gouverneur de la Germanie-inferieure, L. Calpurnius Proclus, ainsi que deux femmes de sa maison ont fourni 4 inscriptions aux Aufanies. La grande majorité des dédicants sont citoyens romains. Ce sont souvent des personnes de haut statut et/ou des soldats de la Legio I Mineruia ou d’autres légions (environ 26 dédicaces impliquent des soldats). Environ 10 de notre quatre-vingtaine de dédicaces impliquent des femmes. Un dédicant — évidemment un citoyen romain, et peut-être un civil — s’identifie comme citoyen de Norique, où le culte des Matrones Aufanies n’est pas attesté.EDCS-11202295. En d’autres termes, une population en partie passagère de soldats, d’administrateurs et d’autres, une fois installée au pays de Bonn, se trouva attirée par le culte des Matrones Aufanies. Il se peut que de telles personnes aient ensuite poursuivi leur culte après leur séjour en Germanie-inférieure, par exemple en Espagne ou à Lyon.

Au moins 37 inscriptions sont votives, c’est-à-dire qu’elles représentent un vœu accompli par l’adorateur en remerciement pour un résultat souhaité. La plupart d’entre elles utilisent la formule votive commune V·S·L·M pour u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito) “a dûment et à juste titre accompli leur vœu”. À part cela, peu d’inscriptions évoquent en détail les raisons de la dédicace. Des unes mentionnent qu’elles ont été faites pro salute sua “pour son propre bien-être”EDCS-11202274. ou pro se et suis “pour soi et les leurs”.EDCS-11202282, 11202284, 11202288, 15800316, 11202297, 11202302. On a fait une dédicace aux Matrones Aufanies ex imperio ipsar(um) “sous leur propre autorité”,EDCS-11202281. une autre simplement ex imperio “sous l’autorité”,EDCS-11100146 indiquant que les Matrones Aufanies avait fait connaître leurs instructions par le biais d’un rêve, de la divination ou de quelque chose de la sorte.

Une paire d’inscriptions, toutes deux à Nettersheim, utilisent la formule IN·H·D·D pour in honorem domūs diuinae “en l’honneur de la maison divine”, c.-à-d. de la famille impériale.EDCS-11100050, 12800007. Voilà la formule la plus courante faisant allusion au culte impérial dans le nord de la Gaule. D’autres inscriptions sont spécifiquement pro salute “pour le bien-être” de l’empereur du jour,EDCS-36101872, 12800004, 10500719. ce qui signifie qu’au moins pour de telles inscriptions, le bien-être de l’empereur était plutôt le but de la dédicace que une pieuse réflexion après coup.

Matronae Aufaniae, Nettersheim
Trois autels de la Matron Aufanies du Görresburg près de Nettersheim, avec des offrandes modernes.
(Image dérivée d’une photographie, © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons))

L’iconographie

Les représentations des Aufanies appartiennent pour la plupart à l’un de trois types : l’un est le motif emblématique des mères triples assises, que nous décrirons en plus de détail infra, tandis que les autres comportent une inscription et des images, soit d’arbres soit de pommes de pin avec des fruits. Une quatrième représentation, mettant en scène un soldat et une femme captive, n’entre dans aucune de ces catégories.

L’iconographie aufanienne que nous avons recensée vient toute de Bonn ou de Nettersheim. Les inscriptions provenant d’ailleurs sont dans certains cas aniconiques, tandis que dans d’autres, on n’a pas accès à des photographies n’étaient pas disponibles au moment où nous écrivons.

Trois personnages assis

Probablement le type iconographique le plus courant pour les Aufanies, attesté dans quelque 16 cas, comporte trois figures féminines assises côte à côte. Typiquement, les personnages à gauche et à droite portent de gros bonnets ronds, donnant presque l’effet d’auréoles exagérées, caractéristiques de la région ubienne. Quant à la figure du milieu, ses longs cheveux sont généralement découverts et tirés derrière son dos. Sur les genoux des déesses se trouvent normalement des bols, des paniers ou des plateaux de fruits. De telles représentations ont aussi généralement des motifs d’arbres sur les panneaux latéraux, ou dans certains cas un arbre d’un côté et une pomme de pin de l’autre.

Dans certains cas, les déesses à droite et à gauche peuvent se tenir devant des plantes à feuillesEDCS-11202304 et 11202286. ou s’accompagner d’oiseaux.EDCS-12800009. Dans d’autres cas, un quatrième personnage peut planer à l’arrière-plan, ou les personnages à gauche et à droite peuvent tous deux être accompagnés de Victoires ailées en arrière-plan.EDCS-11202288. Dans un cas, une banque de trois figures féminines à la tête nue sont assises derrière les trois habituelles, qui sont plus grandes et au premier plan.EDCS-11202290. En même temps, les panneaux latéraux peuvent également représenter des personnages, peut-être la Victoire,EDCS-11202295. Hermaphrodite,EDCS-11202274. d’autres Matrones frugifèresEDCS-11202290. et/ou d’autres. À Nettersheim, il y a dans un cas un joli motif en forme de coquille au tympan.EDCS-12800004.

Les images d’arbres

Un type iconographique plus simple présente l’inscription sur le panneau de face de l’autel, tandis que les panneaux latéraux représentent des arbres (il s’agit le plus souvent des lauriers, tandis que les deux côtés représentent souvent différents types d’arbres). Il y a environ 15 exemples de ce type. Dans un cas, il y a des oiseaux dans les branchesEDCS-36000035. ; dans un autre, une vigne ou un serpent peut être enlacé autour d’une branche.EDCS-11202271.

L’image de pomme de pin fruitée

Il y a une variation sur le thème de l’inscription aniconique sur le panneau de face, des images sur les panneaux latéraux, où on trouve des motifs végétaux d’un côté (fleurs, feuilles, etc.) tandis que l’autre côté met en scêne des pommes de pin qui surmontent des bols de fruits ou des cornes d’abondance. Dans un cas, il y a des cornes d’abondance de chaque côté.EDCS-11202300. Sur un autel, on trouve un panneau de derrière sculpté montrant une chèvre sous l’ombre d’un saule.EDCS-11202276. Au total, il y a environ 6 représentations dans cette catégorie.

Le soldat et la captive

Une représentation bizarre mais saisissante met en scène un soldat debout au-dessus d’une femme captive, qui lève les mains.EDCS-11202285. À première vue, cela semble représenter un soldat capturant la femme, tandis qu’elle lui étend ses mains en supplication, mais la logique d’une telle représentation nous échappe dans ce contexte. Au lieu de cela, nous suggérons que la femme pourrait être une captive cherchant à être sauvée ; peut-être qu’il s’agit d’une proche perdue puis récupérée par le soldat, en occasionnant ainsi l’accomplissement du vœu. Après tout, le soldat a son bouclier levé, mais aucune arme n’est visible.

Le nom et son étymologie

On peut constater l’origine non celtique du nom Aufaniae ; les occurrences de la lettre F dans les noms celtiques sont extrêmement rares et, en règle générale, ne se trouvent pas entre les voyelles. L’explication du nom basée sur le proto-germanique n’a pas été clairement décidée non plus, mais les étymologies possibles pourraient inclure *ahufanējōz “des eaux, des fleuves” (à comparer les nombreuses attestations des Aufanies le long du Rhin) ou bien *abnjan- / *afnjan- “exécuter, accomplir, mener à terme”Köbler, Gerhard. 2014. “*Abnjan-, afnjan-” in: Germanisches Wörterbuch. (online).
Kroonen, Guus. 2013. “Abnjan-” in: Etymological Dictionary of Proto-Germanic. Leiden, Boston: BRILL.
Orel, Vladimir. 2003. “*abnjan, *abnjanan, *abnjòjanan” in: Handbook of Germanic etymology. Leiden: BRILL. Orel also includes meanings of the collective noun as “material, stuff, amount, measure", linking it to “riches, wealth". That overlaps with Simek’s “abundance", possibly indicating that the words are related.
 ; donc, les Matrones Aufanies seraient les « matrones des objectifs, des tâches ou des actes accomplis (ou celles qui les accomplissent)”. Noémie Beck privilégie l’étymologie proposée « *au-fanja- (> *au-fani-), i.e. ‘Isolated Boogy [sic] Land’ or ‘Remote Swamp’, with Germanic *fanja ‘swamp’, ‘marsh’ »Noémie Beck, 2009, Goddesses in Celtic Religion, après Günter Neumann, 1987, ‘Die germanischen Matronen-Beinamen’, pp. 114-115, in Beihefte des Bonner Jahrbücher 44, Köln. tandis qu’elle fait également mention d’une dérivation comme « ‘Lady of the area or Lady of the river’, cf. Gemanic fani, feni, ‘Valkyrie, fairy, nymph’ ».Noémie Beck, 2009, Goddesses in Celtic Religion, après H. Kern, 1873-1875, ‘Noms germaniques dans des inscriptions latines du Rhin inférieur’, in RC 2, pp. 164-166. Cependant, Rudolf Simek suggère que la racine s’apparente au mot gothique ūfjō “abundance, plenty”.Cited in Angela Hall, 2007, Dictionary of Northern Mythology. D. S. Brewer. ISBN 0-85991-513-1.

Les inscriptions votives sont normalement au datif, c’est-à-dire à telle-ou-telle divinité. Le datif des Aufanies utilisé dans nos inscriptions peut varier : les formes Aufaniabus, Aufaniis et Aufanis sont toutes attestées sur divers inscriptions. Parmi ces formes-ci, Aufaniabus est la plus commune, apparaissant clairement sur environ 40 inscriptions, et sans doute sur d’autres qui sont maintenant fragmentaires.

Date de fête

Les inscriptions à Mayence (ancienne Mogontiacum, capitale provinciale de la Germanie-supérieure) mentionnent toutes deux les dates auxquelles les autels ont été consacrés. L’un date de l’année 197 de notre ère,EDCS-71100087. l’autre de 211EDCS-11000706 ; or, on a dédié les deux aux ides de juillet, soit le 15 juillet, ce qui montre que cette date était significative pour les Aufanies au moins localement. On a souvent observé les dates de dédicace des autels les années suivantes comme des jours de fête, et on a évidemment conservé cette date de fêté à Mayence pendant au moins quatorze ans avant la dédicace du deuxième autel. Nous avons donc un précédent antique pour fêter les Aufanies le 15 juillet.

Les conclusions

L’iconographie des Aufanies se prête, avec d’autres preuves, à des interprétations assez simples des thèmes que les fidèles de l’Antiquité trouvaient importants chez les Aufanies. Les fruits, les autres aliments occasionnels et le bétail renvoient aux thèmes de l’abondance et de la fertilité, qu’ils soient littéralement horticoles ou plus figuratifs. À partir des arbres, de l’image du soldat et de la captive et du serpent peut-être enlacé autour d’une branche, nous pouvons déduire un thème de protection et de sanctuaire. Les lauriers et les Victoires ailées évoquent les thèmes de la victoire et du succès dans la réalisation de ses désirs. Le laurier, en tant que l’arbre par excellence d’Apollon et des Augustes, pourrait également indiquer la prévoyance, le pouvoir et l’accomplissement. La pomme de pin évoque généralement la vie éternelle, la sagesse et/ou la fertilité. Les différences entre les coiffes des trois déesses peuvent laisser penser à une différenciation de leurs statuts — peut-être pas tellement « maiden, mother and crone » que mère et deux grands-mères.


Les références

On présente ici un document comprenant le texte intégral des inscriptions citées ainsi que nos notes concernant l’iconographie.

English (Shakespeare)
English please!
Deutsch (Goethe)
Auf deutsch, bitte!
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